Sorti en 2021, Reminiscence est le premier et, à ce jour, le seul long-métrage de Lisa Joy, essentiellement connue pour être une des scénaristes et réalisatrices de la série Westworld, créée par son époux Jonathan Nolan.
Si le film n’a pas fait grand bruit à sa sortie, a récolté des recettes décevantes et reste plutôt méconnu aujourd’hui, il mérite amplement d’être redécouvert.
Un futur proche. Le niveau des océans a monté jusqu’à engloutir bon nombre de kilomètres carré de zones côtières. Une guerre de grande ampleur a déchiré le monde, projettant un peu plus l’humanité vers sa fin. Autrefois destination de luxe, Miami est devenue une métropole à moitié immergée, où croupissent bon nombre de truands, de déshérités et de miséreux. Ancien soldat ayant servi durant la guerre, Nick Bannister (Hugh Jackman) s’est reconverti dans la technologie du souvenir. Avec son associée et ancienne soeur d’arme, Emily "Watts" Sanders (Thandiwe Newton), il propose à ses clients des séances à base d’hypnose et de technologie neuronale leur permettant de revivre leurs plus beaux souvenirs. Une véritable drogue pour certains, les gens se tournant plus vers leur bonheur perdu que vers un avenir incertain. Un jour d’intempéries, une jeune femme, Mae, débarque sans rendez-vous, ne sachant plus où elle a pu laisser ses clés. Fasciné par la beauté et l’élégance de Mae, Nick lui propose une séance de remémorisation, contre l’avis de Watts qui voit d’un oeil méfiant l’incursion de cette femme intrigante. D’autant plus que Nick et Mae finissent par entretenir une liaison passionnée au cours des mois qui suivent. Des moments de bonheur que se plait à revivre Nick en se plongeant lui-même dans sa machine à souvenir, alors qu’il n’a pas supporté que Mae disparaisse de sa vie du jour au lendemain sans laisser la moindre trace ni explication. Sollicité par la police dans le cadre d’une enquête sur un trafiquant, Nick a la surprise de découvrir Mae dans les souvenirs d’un criminel mourant. La jeune femme y chantait quelques semaines auparavant dans un speakeasy de La Nouvelle-Orléans. Déterminé à la retrouver, Jake choisit de s’y rendre, au grand dam de Watts qui soupçonne une machination.
Réemployant les codes du film noir (anti-héros des bas-fonds, femme fatale, relation passionnée, jeux de manipulation sur fond d’intrigue criminelle impliquant quelques puissants personnages secondaires) dans un univers dystopique, sans user d’une esthétique exagérément science-fictionnelle mais jouant plutôt d’une ambiance rétrofuturiste assez crédible, Lisa Joy livrait avec Reminiscence un très bon exemple de film de tech-noir réussi. Porté par la très belle photo de Paul Cameron et le formidable travail de Matthew Gattlin sur la direction artistique, la réalisatrice nous servait certes une intrigue loin d’être très originale mais sublimée par des parti-pris esthétiques élégants. On appréciera le parallèle entre cette Miami semi-submergée et ces personnages à demi-immergés dans leur bassin, tournés vers leur souvenir. À ce titre, la conclusion répond de fort belle manière à la première scène (la carte, tout comme le souvenir, trouvés dans l’eau...).
À travers un remarquable travail sur la caractérisation, la réalisatrice parvenait surtout à retranscrire l’insatiable quête de vérité de son protagoniste. Déchiré entre les souvenirs d’un amour qui lui paraissait authentique et la possibilité qu’il se soit simplement fait manipuler par une vamp dans un objectif bien précis, le personnage passe du déni à la soif de vengeance, s’engouffrant dans une affaire où il aura fort affaire pour rassembler les pièces du puzzle et essayer de retrouver, ou du moins savoir qui est Mae. La chance sera souvent avec lui (le porte-flingue l’épargnant parce que reconnaissant en lui un ancien frère d’arme) et il pourra même à mi-métrage compter sur l’intervention salvatrice de son ange gardien, Watts, une flingueuse de grande classe.
Mettant à profit son expérience sur Westworld, Lisa Joy réalise un film aussi élégant qu’émouvant, nous offrant parfois des plans de toute beauté (la salle de concert engloutie) et maîtrisant à merveille ses séquences d’action. À ce titre, on ne pourra qu’apprécier le long pugilat entre les personnages joués par Hugh Jackman et Cliff Curtis, la réalisatrice s’appuyant sur une belle chorégraphie et des plans-séquences impressionnants évoquant les grandes heures du cinéma d’action asiatique.
Quant à la résolution de l’intrigue, elle s’avère aussi cathartique que poignante, éclairant de fort belle manière le mystère entourant Mae.
Côté acteurs, Hugh Jackman prend le contre-pied du sempiternel badass increvable et compose un personnage tout en failles mais déterminé à découvrir la vérité. Rebecca Ferguson reste toujours admirable de talent et de beauté, nous offrant même, en tant que chanteuse, une superbe reprise de Nothing’s gonna hurt you baby de Cigarettes after sex (il est à noter que Ferguson et Jackman se retrouvaient ici quatre ans après The Greatest showman où ils donnaient chacun de la voix). La trop rare, Thandiwe Newton se révèle parfaite à contre-emploi dans la peau d’une vétéran alcoolique aussi désabusée que secrètement amoureuse (soulignons au passage que le film met en présence deux ex-héroïnes des films Mission Impossible). Quant à Cliff Curtis, acteur trop souvent mésestimé, il campe ici un salopard de première dont la sagesse fallacieuse cache une ignominie à la limite de la folie.
Alors oui, le film n’est pas exempt de défauts. Quelques clichés. Quelques longueurs. Certains râleront sur la sempiternelle machination propre à tout bon film noir quand d’autres oseront peut-être faire des comparaisons inutiles avec Inception ou Strange Days. Lisa Joy avait de toute évidence l’envie de s’essayer à un savoureux mélange des genres pour aboutir à un bon film de dark SF et surtout à une très belle histoire s’ouvrant sur un homme marchant en pleine ville, les pieds dans l’eau, et tombant sur une Reine de Coeur. En ce sens, elle a réussi.