Est-il bien raisonnable de critiquer « Retour vers le futur » en 2015 ? Célébrant ainsi un double anniversaire, celui de la date d’expiration de la trilogie (on est en 2015, Marty !) et celui des 30 ans du premier opus, la démarche pourrait paraître légitime. Est-ce seulement bien raisonnable de revoir « Retour vers le futur », madeleine de Proust absolue pour plusieurs générations, la mienne comprise, au risque de constater avec désespoir que la magie n’opère plus comme avant ? Ce serait un peu comme revoir vingt ans après la fille dont on était amoureux au collège qui s’était barrée en Nouvelle-Calédonie. Bonjour la psychose régressive. Pourtant la raison, face à un vecteur temporel découvert sur le trône, face au « Nom de Zeus ! » de Doc Brown, au « Johnny B. Goode » enflammé de Marty, au « Tu veux ma photo, banane ? » de Biff, face enfin au baiser incestueux à l’avant de cette voiture, la raison s’éclipse, disparaît aussi sûrement qu’une DeLorean fumante projetée à l’autre bout de l’espace-temps à la vitesse de 88 miles à l’heure. Bon sang, tout est là, intact. J’en crois pas mes yeux.


Alors que le générique de début n’est même pas terminé, Robert Zemeckis met déjà les points sur les i. Marty fait monter tous les compteurs au maximum, la promesse d’un divertissement total, qui nous en met plein les mirettes de la première à la dernière seconde, sans relâche. Puis, au premier accord de guitare électrique, tout explose et catapulte Marty dans un déluge de papiers et d’étagères renversées. « Ça, c’est du rock ! ». Je dois dire que le film a le même effet sur moi à chaque visionnage. Un foudroiement cinématographique, la naissance d’une passion depuis toujours aussi tenace. Inutile de vous dire qu’il est resté mon film préféré une bonne partie de mon enfance.


Parce que Marty était pour moi l’ado le plus cool de la Terre. Accroché à l’arrière des voitures avec son skate en écoutant le ringardos mais inoubliable « Power of love », enlaçant sa superbe petite amie avec force de détermination, lié au scientifique génial inventeur de la machine à voyager dans le temps, Marty c’était moi plus tard, point barre. Tout ne s’est pas exactement passé comme prévu, je dois le dire. Mais le fantasme est incorruptible, d’où un plaisir renouvelé à chaque nouveau visionnage. Le fantasme de pouvoir dépasser les frontières du réel, simplement en atteignant la fameuse limite des 88 miles à l’heure.


Malgré l’optimisme sans borne de Zemeckis, géniteur avec Spielberg et Lucas d’un cinéma idéaliste et rêveur, relayé aujourd’hui par des talents comme J.J. Abrams ou Brad Bird, le monde de « Retour vers le Futur » n’est pas parfait. L’audition du groupe de Marty est un échec, celui-ci y voit ses rêves de carrière musicale envolés. Les parents de Marty sont des ratés, maman Lorraine est grosse et dépressive, papa George impuissant et coincé, exploité par son supérieur de bureau, son tonton est en prison, et ses frères et sœurs bien relous. Ce sont eux que Marty va pourtant s’efforcer de sauver, après avoir accidentellement empêché son père de rencontrer sa mère pour la première fois. Et vu comment pôpa George est incapable d’aligner trois mots, comment aussi sa propre môman le regarde avec suavité, Marty est pas sorti de l’auberge. Le complexe d’Œdipe le guette. Sa disparition du continuum espace-temps aussi, d’ailleurs. En plus de désacraliser la figure parentale, Zemeckis montre que prendre son destin en main est nécessaire pour sa propre existence. Dans ce monde si morne, la passivité n’est pas une solution, c’est une impasse.


Que ce soit dans sa bande-son des plus réussies signée Alan Sivestri, dans son rythme implacable et absorbant, ses moments de bravoures aussi nombreux qu’inventifs, « Retour vers le futur » est plus qu’un film qui sent bon les années 80 et le rock’n roll. Il incarne un état d’esprit, un art de vivre placé sous le signe de la persévérance et du rêve qui n’attend que nous pour devenir réalité. L’idéalisme porté à son paroxysme : certain y verront de la naïveté, j’y vois une certaine vision du bonheur.


Rob’ ose paradoxalement une fin des plus cynique, mal interprétée par la plupart d’entre nous, moi y compris. Lorsque Marty retourne dans son présent, il le trouve débarrassé de tous ses aspects négatifs : son père est un winner, et vient de publier son premier roman de science-fiction, sa mère nettement plus séduisante et épanouie et surtout, il a le 4x4 de ses rêves garé devant le bercail familial, comble du comble, récuré par Biff la brute, maintenant aussi doux qu’un agneau. J’y voyais à l’époque un accomplissement pour Marty, certains y ont vu une apologie du consumérisme, c’est pourtant tout le contraire : Zemeckis se moque ici du modèle de réussite à l’américaine, d’une superficialité confondante. C’est étrange, me direz-vous, une fin ironique dans un film aussi sincère. Mais qu’importe, tous ces plaisirs sans lendemains, on est voué à les oublier, comme Indiana Jones et le Saint Graal qu’il avait presque à portée de main. Aussitôt revenu, aussitôt reparti. « Là où on va, on a pas besoin de route ! ». So long, Marty.


Ma critique de "The Walk" :
http://www.senscritique.com/film/The_Walk_Rever_plus_haut/critique/39783664

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le 21 oct. 2015

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Marius Jouanny

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