Retour jubilatoire à l’univers de Star Wars à travers l’œil sombre et lourd de Gareth Edwards.
Dans un opus plus ou moins détaché des trilogies, existantes ou en cours, Rogue One est le premier venu d’une série de one shots annoncée, et s’articule autour de la mission de récupération des plans de l’Étoile de la Mort au sein des archives impériales par un petit groupe de rebelles décidés à cultiver l’espoir contre le terrible joug de l’Empire. Soit ce qui amène directement à la genèse de l’épisode 4, Star Wars : A New Hope. Avec évidemment de nouveaux venus au casting, et le très prometteur Gareth Edwards aux commandes,



le film atteint largement les objectifs du cahier des charges inhérent à la franchise tout en permettant au réalisateur de laisser son empreinte particulière dans un univers déjà bien jalonné :



deux heures passées en un souffle de lumière, où les nombreux clins d’œil attendus sont légers et enchanteurs, où de séduisants personnages inconnus tiennent leurs promesses de bravoure autant que de parts sombres, et où l’atmosphère crépusculaire, déjà caractéristique de la filmographie de ce jeune cinéaste, pèse à merveille sur les enjeux d’une histoire forte en sensations, et donne au métrage une couleur appropriée. Mieux, idéale. Une production qui, plus que de les satisfaire, dépasse mes attentes de spectateur exigeant face aux piliers de la franchise grâce à un heureux équilibre de surprises, de fidélité et d’originalité.
Puis il faut le dire, de talent.


Puisqu’il faut commencer quelque part, c’est d’abord le scénario – écrit en deux fois par deux paires de scénaristes – qui sait parfaitement exploiter à bonnes doses les ingrédients imposés d’un univers bien arrêté pour développer sa propre recette autour de nouveaux personnages aux équilibres familiers pour les emmener à un point précis de la légende. Sur différentes planètes, l’Empire impose sa domination par la terreur et l’exploitation, et la narration se développe naturellement d’un point à l’autre de cette galaxie : les décors sont, comme d’habitude, splendides, mais en contrepoint de luminosité. Là où le désert de Tatouine inondait de lumière les séquences centrales de nombreux épisodes, c’est une immensité verte de rocaille montagneuses, prairies glaciales et inhospitalières, qui accueille l’ouverture.
Et laisse une jeune fille orpheline, livrée à elle-même dans un monde hostile.
Quinze ans plus tard, au fil de hasardeuses péripéties, une équipe improbable se forme et voit naître en son sein une volonté dont la force porte chacun de ses membres à donner le meilleur de soi, jusqu’au sacrifice, pour le bien du plus grand nombre. Pour l’avenir. Le scénario déroule implacablement les enjeux principaux et secondaires d’une histoire dont le dénouement nous est connu en continuant de ménager surprises et plaisir. Le rythme est haletant, les séquences s’enchaînent avec fluidité et évidence, et les quelques climax nourrissent grassement la passion ingénue du spectateur assidu de l’univers Star Wars à travers quelques apparitions attendues et superbement amenées. Tout y est de la grandiloquence d’opéra de la franchise :



dans le chaos dissonant de l’univers, une harmonie s’écrit, se compose d’entêtantes mélodies narratives.



Visuellement ensuite, Rogue One assombrit le récit. Avec intelligence.
Après Monsters et Godzilla, Gareth Edwards continue d’imposer la pénombre, le brouillard et les clairs obscurs, la lourdeur de ciels bouchés à une majeure partie du métrage, plombant consciemment les horizons de ses héros – la destruction de Jedha City avec ses retombées granitiques que l’équipe affronte en fuite à bord d’un léger vaisseau en est un exemple impressionnant. La gestion de la lumière, de l’atmosphère, est maitrisée de bout en bout : la grisaille humide et froide sur la calme et dramatique séquence d’ouverture contraste avec le ciel grand bleu de la grosse séquence finale où fusent les lasers sous la couverture bourdonnante des chasseurs aériens. En passant par une séquence détrempée sous l’averse nocturne d’une séquence narrativement plus angoissante que dramatiquement réussie – qui nous ramène aux rudesses tropicales et nauséabondes de l’entraînement de Luke sur Dagobah –



jamais le ciel ne se dégage clairement pour notre équipe de rebelles.



C’est bien de crépuscule qu’il s’agit ici.


Niveau mise en scène, la séquence de guerre qui clôt l’opus est de très haute volée et la gestion de l’imagerie numérique y est bluffante : un régal de spectacle martial moderne incroyablement entraînant tout en étant narrativement fluide, clair. Une prouesse du mouvement, une vraie grande scène de cinéma malgré quelques faiblesses scénaristiques pour l’héroïsme facile.


Il y a les comédiens encore.



Des deux énormes surprises du casting aux nombreux seconds rôles, en passant par les révélations et les ressuscités numériques, l’armada de visages alterne entre les plaisirs de l’attendu et de la découverte.



Légère déception avec Mads Mikkelsen : le rôle, trop fade, trop plat, n’étant pas à la hauteur de ses multiples capacités ; mais gros plaisir avec la composition de Forest Whitaker qui sert un solitaire déjanté magnifique. Un frisson de bonheur parcourt évidemment l’échine de tout un chacun à l’apparition de Darth Vader,


malgré un détail gênant dans le cou du casque,


et c’est une jouissive joie enfantine qui s’en empare aux résurrections, impeccable de l’immense Peter Cushing en Grand Moth Tarkin, et


furtive de la jeune et immaculée Princesse Leia !


Si le couple de guerriers interprétés par Donnie Yen et Jiang Wen, ou encore le pilote incarné par Riz Ahmed, sont insuffisamment développés, un peu ternes, monochromes, les trois acteurs y mettent beaucoup et savent donner corps et reliefs à ces importants seconds couteaux. Quant à Felicity Jones, elle porte avec une incroyable justesse et l’épopée et le personnage central, aux côtés d’un Diego Luna un peu contenu. Accompagnés d’un droïde pince-sans-rire doublé par Alan Tudyk, tous sont au diapason d’une partition globale équilibrée, aux caractères marqués, et narrativement riche.
Encore une fois un régal de cinéma !


Jusqu’à la partition réelle, cette musique indispensable :



les effluves évanescents des thèmes originaux



transportent les cœurs des fans en de rares moments dans un ensemble qui sait faire la part belle aux formules imposées dans un mélange de pesanteur lente et d’envolées lourdes chères aux sombres directions du réalisateur.


L’opus est un pur divertissement cinématographique,



great space opera aux envolées passionnantes



où le plaisir de l’aventure le dispute au confort des nombreuses références éparses. C’est aussi une pure œuvre d’auteur où le jeune et talentueux Gareth Edwards imprime indéniablement sa signature dans une atmosphère infiniment pesante, dénuée d’espoir autant que d’horizon – ce qui assurément donne envie de le revoir aux commandes d’un autre sombre épisode des one shots qui s’annoncent dans l’immense univers de la franchise. Rogue One est un pur produit Star Wars enfin, où



les équilibres originaux sont transcendés dans une réécriture légendée autant qu’originale,



au final épique, magnifique et établissant l’inévitable liaison avec la trilogie originelle dans une fanfare d’innombrables saveurs, nostalgiques et nouvelles.
Si la production décidait ainsi de confier les prochains A Star Wars Story à un réalisateur aussi unique que Gareth Edward, je les attendrais avec une impatience non contenue tant les possibilités seraient alors immenses : Nicolas Winding Refn ? Gaspard Noé ? Wes Anderson ?
Si la franchise devenait alors un régal pour le fan autant que pour le cinéphile.

Créée

le 21 déc. 2016

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