J’adore les premiers films d’Edgar Wright, Shaun of the Dead est même un de mes films favoris, mais ses deux derniers (Baby driver et Last night in Soho) ayant été de petites déceptions, j’espérais que Running Man remonterait le niveau.
Bon, c’est carrément mauvais.
Le gros problème avec cette satire de la concentration des media qui contrôlent l’opinion publique et de la télé-réalité qui sert à endormir les consciences, c’est non seulement qu’elle fait redite avec pleins de films qu’on a déjà vus et ce depuis les années 80, mais aussi que la parodie n’est maintenant qu’à peine une exagération de la réalité. On a dans Running Man des vidéos falsifiées, la démonisation d’opposants par la calomnie, des mensonges éhontés qu’un public gobe malgré leur énormité, … Ça semble vouloir faire dans la dérision mais je n’ai pas ri un instant tant ça ressemble trop au monde dans lequel on vit actuellement.
Normalement, les œuvres de SF cherchent à prévoir un avenir possible, et dans le genre satirique, RoboCop était hyperbolique à son époque mais a si bien prédit la direction prise par la société américaine que j’ai vu plusieurs fois ces dernières années des gens dire qu’on vivait dans un film de Verhoeven. Là Running Man c’est, à l’inverse, un film de SF en retard par rapport au réel !
De plus, le monde qui y est défini semble incohérent. Il y a un média nommé The Network qui modèle l’opinion publique par de la désinformation, et qui fait notamment passer le héros, Ben Richards, pour un criminel sans cœur qui doit être éliminé par les gentils défenseurs de la paix (en gros). Et on a du mal à comprendre qu’il y ait une part du public qui soutient Ben au vu des mensonges répandus à son sujet, avec des vidéos trafiquées à l’appui. Sans qu’on sache d’ailleurs si on est dans un univers où cette technologie est répandue, ou même si le grand public sait qu’elle existe, puisqu’à aucun moment on ne voit quelqu’un remettre en cause la véracité de ces vidéos (pas même le type censé faire du debunking), en dehors des personnages qui sont confrontés à de faux enregistrements les mettant en scène.
Le film ne montre pas clairement comment la population fait pour avoir une alternative solide à la désinformation de The Network. On voit juste un type qui veut distribuer des fanzines (?!?), et un autre qui fait des vidéos de debunking dans son placard, sans qu’on n’ait aucune idée de ses moyens de diffusion ni de l’ampleur de son public, puisqu’on ne voit à aucun moment des gens réagir ni même regarder ces vidéos ! D’ailleurs le type semble monter sur des cassettes avec un vieux magnéto, ce qui n’est pas du tout cohérent avec le résultat de ses vidéos, mais bref…
Le film semble se contenter de montrer les soutiens de Ben (qui brandissent des pancartes sur son passage) comme étant pauvres, comme si c’était une explication suffisante au fait qu’ils ne voient pas en lui le criminel assoiffé de sang qu’on montre à la TV.
Et la confrontation entre pauvres et riches, et leur vision du monde respective, se fait uniquement via une rencontre entre le héros et une bourgeoise convaincue que "pauvre = dangereuse vermine", à qui il ouvre les yeux et qu’il rallie à sa cause en 10 minutes. C’est ridicule.
La flemme de trop m’étendre sur le final grotesque, qui tient à offrir un happy end même si ça ne tient pas debout un instant. Je ne sais pas en quoi on croit le moins : que le héros ait survécu à tout ce qui lui est arrivé et parvienne à atteindre les bad guys qui doivent pourtant être dans un périmètre sur-sécurisé, ou qu’il ait réussi à retourner l’opinion publique au point que, dans les gradins du show Running Man, les spectateurs brainwashed par des années de matraquage télévisé soient remplacés par des militants avec pancartes et cocktails molotov. C’est aussi peu crédible que si la même chose arrivait avec le public de Touche pas à mon poste.
On peut aussi se demander pourquoi cette organisation, qui manipule l’opinion en falsifiant des vidéos et pousse les gens à s’entretuer sans soucis, tient parole quant à la protection de la famille du héros, tout en lui ayant fait croire le contraire. Mais bon, on est dans cette même optique de film d’action américain qui présente certes une dystopie mais doit rester feel-good.
En plus d’être nul dans sa vague tentative de tenir un propos militant, Running Man n’est même pas divertissant. Le plus étonnant pour du Edgar Wright c’est que c’est fade, la réalisation est transparente au point que je n’ai retrouvé le style du cinéaste qu’à deux moments (Ben qui imite les mouvements de la vidéo derrière lui, et le « Why ? » sur la chute du Y…)
Je ne me suis jamais senti impliqué dans l’action, mais là je ne sais pas si c’est un problème de réalisation trop plate, d’écriture ou d’interprétation. Car Glen Powell est musclé et a une belle tronche mais il n’est pas particulièrement charismatique. En tout cas le background de son personnage est très banal, et le ressort scénaristique pour représenter le lien entre lui et sa famille, à savoir un objet qu’il garde sur lui, est lui aussi vu et revu (comme tout récemment dans "House of dynamite", par exemple).
J’ai ressenti une déconnexion supplémentaire avec le personnage en ne comprenant pas ses réactions, ou plutôt son absence de réaction, lorsqu’on découvre, a priori en même temps que lui, certaines surprises que lui réserve la direction de The Network.
Et il y a vraiment trop d’insistance à le montrer, à plusieurs moments, comme un bon gars qui pense aux autres plus qu’à lui.
Mais côté caractérisation, celle d’Elton, le personnage de Michael Cera, est bien plus désastreuse. Elton est un résistant qui aide Ben ; c’est un personnage militant censé contraster avec le héros et le pousser plus ou moins vers une prise de conscience politique.
Sauf qu’Elton est présenté à la va-vite, et à peine est-il arrivé dans le film qu’il nous déballe de manière forcée sa backstory, qui doit expliquer sa motivation à lutter pour la justice et la vérité, à base de père ex-policier vertueux qui a été trahi par ses anciens collègues véreux. Et là pour le coup on croirait que Wright a pris conscience que cette histoire était très bateau, et a voulu faire passer la pilule en la faisant raconter en accéléré et en la tournant en dérision. On croirait voir le travail d’un réalisateur qui sabote exprès un passage de scénario qu’il trouve chiant, sauf qu’Edgar Wright est l’un des scénaristes !
On ne sait plus trop ce qu’on est censé ressentir à ce moment-là, mais en tout cas on ne prend aucunement au sérieux le personnage de Cera, qui devient encore plus grotesque par la suite. Le décalage entre la forme et le fond donne quelque chose de troublant qui non seulement n’est pas drôle mais surtout échoue à véhiculer efficacement son propos.
Car Elton cherche à convaincre Ben de devenir un symbole de résistance contre The Network, mais le héros est comme qui dirait apolitique et affirme qu’il veut juste aider sa famille, sans visiblement être conscient que sa situation n’est pas le fruit du hasard mais résulte indirectement du contrôle qu’a The Network sur la société. Il faut dire que Ben est lui-même montré comme un consommateur d’émissions TV qui ne réfléchit pas forcément au monde qui l’entoure.
Le public politisé peut deviner où le film veut en venir même s’il développe et explique très mal les dynamiques de son univers (The Network, c’est juste une société qui produit des programmes TV ? C’est une police, c’est un gouvernement aussi ? C’est pas bien clair), mais si le but de ce Running Man 2025 est d’amener une prise de conscience d’une autre part du public, il se tire une balle dans le pied en montrant le personnage de Cera comme un rigolo. Son propos, pourtant légitime, est décrédibilisé, d’autant plus qu’il est rejeté par le personnage qui est le héros du film.
Si Ben a bel et bien un revirement par la suite, celui-ci n’est pas vraiment limpide (il met des fanzines dans un sac, bon…), et l’impression qui reste c’est surtout qu’il veut buter le gros patron de The Network non pas pour défendre une quelconque cause mais uniquement pour assouvir sa vengeance perso.
Running Man échoue à être un bon film de SF, un bon divertissement d’action, et un film politique.
Je m’étais préparé à la possibilité que ça ne soit pas terrible, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi mauvais, et il y a quelques années je n’aurais pas imaginé qu’Edgar Wright puisse réaliser un truc pareil.