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le 8 janv. 2017
The Cinema is Yours
Dur, dur d'écrire une critique sur Scarface, étant donné que c'est mon film favori depuis plus de 10 ans, je risque de ne pas être objectif, mais passons. Je vais donner dix points qui font qu'il...
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L’histoire s’ouvre en 1980, au moment où Fidel Castro autorise les opposants à quitter Cuba. Parmi les milliers de réfugiés débarquant en Floride, certains sont délibérément envoyés par le régime pour se débarrasser d’éléments indésirables. Tony Montana fait partie de cette vague. À peine arrivé, déjà marqué par la violence et la mégalomanie, il se convainc que le « rêve américain » n’attend que lui et que tout s’obtient par la force. Cette trajectoire, aussi limpide que tragique, installe d’emblée un récit d’ascension et de chute gouverné par l’orgueil, la volonté de puissance et l’illusion d’un monde à conquérir.
Dès les premières minutes, Brian De Palma place son film entre réalisme documentaire et stylisation baroque. Les images d’archives qui montrent l’arrivée massive des réfugiés cubains cèdent rapidement la place à une mise en scène cérémoniale qui entoure Montana comme un fauve surveillé. La caméra tourne autour de lui, le scrute, l’expose. On comprend très vite que De Palma orchestre une tragédie où la démesure est un langage et où la violence n’est jamais un accident mais une économie morale. Le film marque aussi la rencontre, à l’écran, d’un trio au sommet de sa maîtrise : Pacino, Stone et De Palma, chacun apportant une pièce du triptyque qui donne au film son intensité.
Le personnage de Montana doit beaucoup à l’interprétation d’Al Pacino, qui parvient ici à effacer tout souvenir de Michael Corleone. Il fabrique une créature nouvelle, imprévisible, brutale, dont la voix, la posture et l’énergie composent un personnage entièrement reconstruit. Il est une « bête sociale » avant d’être un gangster, un homme incapable de se civiliser malgré le faste dont il se pare. Autour de lui, Michelle Pfeiffer incarne une Elvira fantomatique, toujours à distance, et Steven Bauer apporte une dimension fraternelle fragile qui contribue à densifier les enjeux dramatiques.
L’écriture d’Oliver Stone, nourrie d’enquêtes au cœur de la pègre cubaine de Miami, donne au film une texture rugueuse, imprégnée de réalisme et de vulgarité assumée. Stone s’intéresse aux hommes qui se brûlent eux-mêmes en voulant toucher le soleil : orgueil, obsession, folie, tout concourt à construire un protagoniste qui court vers l’abîme. On est ici autant du côté de la tragédie que du grotesque, tant Stone n’hésite pas à intégrer les zones de ridicule inhérentes à l’hubris. Le projet initial de Sidney Lumet, imaginant transposer la mafia italienne en diaspora cubaine, trouve ici son prolongement, mais Stone pousse la logique jusqu’au bout en transformant ce matériau en fresque grandiose et violente.
La mise en scène de De Palma adopte la position d’un moraliste. Il observe Montana comme on suivrait une procession : à distance, avec précision, révélant la mécanique d’un pouvoir vide et d’une autodestruction programmée. Les panoramiques, les mouvements fluides, la composition presque théâtrale des plans donnent au film une allure de ballet macabre. Le contraste entre la démesure du personnage et le regard froid du cinéaste crée une tension permanente, rappelant parfois les grandes fresques totalitaires d’Eisenstein. La dimension satirique est omniprésente : rien n’est épargné à Montana, ni son kitsch ostentatoire, ni sa bêtise colérique, ni l’artificialité de son univers. Le film n’idéalise jamais sa « réussite » ; au contraire, il la dissèque.
La direction artistique participe de cette ironie. Luxe tapageur, couleurs criardes, espaces immenses mais étrangement oppressants : tout reflète l’illusion d’une liberté qui n’existe pas. Les villas se succèdent comme autant de cages dorées, les night-clubs scintillent mais enferment, la mégalomanie de Montana transforme même la lumière en piège. L’Amérique apparaît comme une prison à ciel ouvert, dont l’inscription « The World is Yours », si omniprésente, n’est qu’un mensonge fluorescent.
Le montage épouse cette structure tragique. Il accélère lorsque Montana s’élève, se resserre lorsqu’il s’enferme dans son propre royaume, et explose lors de séquences de violence où l’énergie du personnage atteint son point de saturation. La progression est inexorable, guidée comme une mécanique fatale.
La bande sonore de Giorgio Moroder, saturée de synthés emblématiques des années 80, enveloppe l’ensemble d’une ambiance pop et menaçante. Les thèmes répétitifs soulignent l’artificialité du monde que Montana croit dominer, tandis que les silences calculés renforcent l’impression que tout se fragilise autour de lui.
L’ensemble forme une œuvre cohérente, excessive, volontairement outrancière. Scarface n’a rien d’une ode à la réussite criminelle : c’est une fable au scalpel sur l’avidité, l’illusion capitaliste et la cage dorée que constitue le rêve américain. Le film frappe par son énergie, sa construction opératique et la précision de son regard. S’il ne bouleverse pas, il fascine durablement et impose un personnage devenu, malgré lui, mythique pour de mauvaises raisons. Une œuvre puissante, imparfaite, mais essentielle dans l’histoire du cinéma de gangsters.
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Créée
le 7 déc. 2025
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