Nous avons créé un système où il est rentable d’en être un..

Qui est le film ?
Quatrième épisode d’une saga née en 1996, Scream 4 arrive plus de dix ans après le troisième volet, à un moment où le slasher a été absorbé par la logique des remakes, par la culture du buzz et par les réseaux sociaux en plein essor. Craven, qui avait inventé la méta-horreur, revient à sa propre création dans un paysage transformé : ce n’est plus le cinéma d’horreur qu’il interroge mais la manière dont les images circulent, se recyclent et se monétisent.

Que cherche-t-il à dire ?
Scream 4 ne se contente pas de répéter la mécanique méta de ses aînés. Il la remet en mouvement dans un paysage culturel profondément transformé. Sorti dans une époque saturée par les réseaux, les remakes et la logique de viralité, le film se donne pour tâche d’interroger la survivance et la recyclabilité du genre. La question centrale n’est pas seulement qui tue ou pourquoi, mais comment la culture contemporaine fabrique les récits et les réemploie jusqu’à l’usure. Le film ne cherche plus à dévoiler un tueur, mais à examiner la machinerie qui fabrique aujourd’hui des récits au sein d’une culture où la terreur n’est pas seulement représentée, mais produite, performée, optimisée pour la visibilité. Il est donc question de peur comme marchandise en circulation.

Par quels moyens ?
Scream 4 revient sur l’idée de la suite et du reboot en la plaçant au cœur de son dispositif narratif. Le film met en scène une industrie qui réclame des franchises et des suites et des fans qui, par leur désir, incitent à la reproduction. Cette circulation fait émerger une nouvelle forme de violence symbolique. La répétition n’est plus seulement esthétique, elle est économique. Le tueur ou les tueurs incarnent la logique de recyclage: ils reproduisent un script, cherchent la réassurance d’une formule éprouvée et instrumentalisent la nostalgie pour produire des effets immédiats.

La jeunesse n’est pas seulement le terrain cible, mais le moteur idéologique du film. Ces adolescents ne consomment pas le monde : ils le rejouent en temps réel, le modulent comme un flux dont ils sont à la fois auteurs, objets et publics. Leur cynisme n’est pas un vice moral : il est une adaptation structurelle à un monde saturé.

Le film pousse la satire jusqu’au malaise : les fans sont à la fois les gardiens de la mémoire et les premiers agents de sa dévitalisation. Craven montre, parfois avec férocité, que l’amour d’un genre peut devenir instrument d’extinction quand il exige qu’on le répète au lieu de le réinventer.

Le tueur moderne du film n’agit pas seulement pour effrayer. Il cherche la viralité. Les mises en scène sont pensées pour circuler, être filmées et partagées. La violence se donne à voir comme contenu et la mise en scène devient protocole de diffusion. Craven analyse la manière dont la médiatisation transforme la tragédie en spectacle. La caméra dans le film joue un double rôle: témoin et complice.

En multipliant les faux suspects, les rumeurs, les écrans dans l’écran, Craven montre son diagnostic : la vérité n’existe plus en dehors de son montage. La paranoïa n’est pas un trouble individuel : c’est l’état naturel d’un monde où tout est factuellement possible, immédiatement duplicable.

Où me situer ?
J’admire profondément la lucidité du geste. Le film comprend son époque avec une acuité que peu de slashers (voire peu de films de studio) ont osé embrasser. Là où je reste plus réservé, c’est dans sa dépendance à sa propre structure : Scream 4 pense brillamment la rémanence des formes, mais il ne parvient pas totalement à échapper à sa propre inertie. Il dissèque le recyclage tout en le rejouant, et parfois, sur le plan du pur cinéma, on sent la fatigue. Et pourtant je ne crois pas que cela soit un échec.

Quelle lecture en tirer ?
Ce que Craven met à nu ici n’est pas la violence, mais notre regard sur la violence : la mutation d’une culture où la mémoire elle-même est devenue algorithmique. Scream 4 se termine sans délivrance : c’est un film qui refuse la catharsis. Au fond, il ne dit pas « voici le monstre », mais « nous avons créé un système où il est rentable d’en être un ».

cadreum
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il y a 3 jours

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