Quand Robert Altman choisit d’adapter librement Raymond Carver, il le fit intelligemment pour rendre quand même hommage à une pointure du polar américain. Le fil rouge du cadavre de femme découvert par les pêcheurs en virée en est la preuve. Et si ce n’était la seule calamité de ce film de près de trois heures où les personnages se retrouvent confrontés à un traitement pesticide douteux ou encore à un tremblement de terre liée à une pulsion regrettable.Robert Altman, à travers une galerie de personnages du beau monde ou assez déshérités, statue déjà sur un manque de consistance humaine car plusieurs de ces hommes ou de ces femmes sont englués dans des relations de couples insatisfaisantes. Que ce soit entre mari ou femme, entre mère et fille, entre père et fils, le réalisateur dresse le portrait accablant d’une Amérique déjà paumée et préoccupante. La superficialité des relations, le manque d’empathie pour l’autre, le moindre petit pétage de plomb à cause d’un chien ou d’un gâteau non livré en dit long sur l’état d’une Amérique consommatrice, sûre de son opulence et aucunement gênée par sa médiocrité qu’elle distille à tout bout de champ. Dans cette comédie (in-) humaine, le personnage du policier infidèle et dégainant son autorité pour la mettre au service de son sens accablant du bon droit est emblématique de ce manque de structure personnelle. Un état résonnant aussi chez le conjoint de l’opératrice « téléphone rose », ne sachant plus où est passé son rôle de mâle et que même une confession avec sa femme à ce sujet ne suffira pas à rassurer pour lui amener à commettre l’irréparable.Les femmes ne sont pas en reste avec cette femme divorcée volant d’amant en amant pour oublier l’échec de son mariage et avide de trouver un père de substitution pour son fils, qui ne lui a rien demandé.Avec un casting remarquable ( Andy Mac Dowell, Robert Downey Junior ou encore Frances Mc Dormand en tête), Short cuts a pu sublimer cette partition chorale et peaufiner le point de vue que les cellules humaines ont leurs limites aux moindres situations délicates. Le défaut mineur de Short cuts réside cependant dans une absence de rythme dans l’action. Cela lui aurait été profitable de lui en instaurer un tant la masse d’informations recoupantes sur les faits et les personnages est conséquente. Par contre, aller au bout du film permet au spectateur d’évaluer au mieux la trame narrative choisie et de comprendre tout ce qui se tisse dans cet univers jamais figé et assez imprévisible. En quittant ces destins contrariés au générique de fin et vous vous interrogez sur ce qu’on vous a présenté.La preuve que Short cuts garde un pouvoir d’évocation remarquable et que son visionnage presque trente ans plus tard est tout bonnement et encore diablement efficace.