« I am Archer, emissary of the Gorgonites. » ARCHER

En 1992, Gavin Scott, scénariste britannique spécialisé dans le fantastique et l’aventure familiale, écrit une histoire centrée sur un jeune garçon qui découvre que des soldats de plomb prennent vie. Son ton initial est celui d’un conte fantastique pour adolescents. Le script séduit rapidement Hollywood et attire l’attention du studio Amblin Entertainment déjà associée à plusieurs succès mêlant divertissement familial et aventure.

Durant les années suivantes, le projet ne cesse d’évoluer. Adam Rifkin, scénariste et réalisateur connu pour ses projets décalés, est engagé pour réécrire le script. Sa version introduit une tonalité plus adulte, plus sombre, flirtant avec l’horreur et la satire. Certains témoignages évoquent même une approche plus violente et cynique, où les jouets devenaient réellement menaçants. Finalement, le duo Ted Elliott et Terry Rossio prend le relais pour polir le scénario. Leur rôle est de rendre l’ensemble plus cohérent, rythmé et calibré pour un blockbuster.

Amblin Entertainment s’associe à DreamWorks, récemment fondé, pour cofinancer le projet. Les deux studios misent gros sur les produits dérivés. Hasbro est sollicité pour concevoir une gamme complète de figurines articulées inspirées des personnages du film ainsi que Burger King qui prépare une campagne marketing de plusieurs millions de dollars. L’enseigne prévoit de distribuer les jouets dans ses menus enfants (destinés aux 2–8 ans), tout en accompagnant la sortie du film par une campagne publicitaire internationale.

Très vite, une contradiction apparaît : le film, tel qu’il est en cours d’écriture et de tournage, est beaucoup plus violent que ce qu’un studio comme DreamWorks avait l’habitude de destiner aux enfants (et surtout pour la vente de jouets). Certaines scènes sont jugées trop intenses, avec des séquences rappelant presque des films d’horreur. Le film risque un classement R, ce qui signifierait que les enfants ne pourraient pas le voir sans adultes, une catastrophe commerciale, vu les partenariats avec Burger King et Hasbro. Sous la pression des sponsors et des studios, de nombreuses coupes sont imposées. Plusieurs centaines de pages de scénario sont mises de côté, certaines séquences déjà tournées ne pouvant être utilisées. Ce chaos créatif survient alors même que le tournage a commencé, ce qui entraîne des réécritures de dernière minute et un climat de tension permanent sur le plateau.

Joe Dante, choisi comme réalisateur grâce à son expérience réussie avec Amblin Entertainment, se retrouve dans une situation intenable. Lui qui avait accepté le projet en espérant retrouver l’esprit satirique et subversif de ses précédents films se voit obligé de couper, réécrire et adoucir la matière de son récit. Le tournage devient chaotique : chaque matin, Dante reçoit de nouvelles pages de scénario, révisées dans la nuit pour satisfaire à la fois les studios et Burger King. Il doit tourner immédiatement ces scènes sans recul.

Pour Amblin Entertainment, Joe Dante est un réalisateur de confiance. Ce film, devait être son grand retour, une façon de retrouver son public et de réaffirmer son rôle dans l’écurie Spielberg. Mais à cause des pressions commerciales et du manque de liberté créative, Dante se retrouve bridé, obligé de livrer un produit hybride, loin de ce qu’il aurait voulu signer et lui-même est déçu de la tournure des événements.

Comme si la production n’était pas assez compliquée, un drame personnel frappe l’équipe. Phil Hartman, comédien très populaire et voix de nombreux personnages, interprète de Phil Fimple meurt subitement. Pendant les reshoots demandé par Burger King, Phil Hartman est assassiné par sa droguée de femme, Brynn Hartman, dans un drame conjugal qui choque l’Amérique. Cet événement empêche de retourner certaines scènes supplémentaires, mais surtout, il jette une ombre sur la fin de la production.

En 1998, Small Soldiers sort enfin en salle après un long développement et une production mouvementée.

On sent immédiatement que le film est tiraillé entre deux directions artistiques : le conte horrifique et la comédie familiale. Certaines séquences, comme celle des poupées Barbie modifiées qui attaquent dans la chambre, sont de purs moments d’horreur à la Joe Dante. Le design des Commando d’élite, volontairement militaire, caricatural et inquiétant, renforce cette impression. Pourtant, le film n’ose jamais aller au bout de cette veine horrifique. Les familles humaines, qui auraient dû être exposées à un danger plus tangible, sont finalement épargnées par des blessures superficielles. La violence reste suggérée ou minimisée, créant un décalage constant : on devine ce que le film aurait pu être s’il avait conservé le ton initial plus adulte, mais tout est freiné, lissé, pour rester vendable aux enfants.

Malgré ses compromis, le film garde une force émotionnelle particulière. Pour un enfant qui aimait les jouets, le film incarnait le fantasme ultime : voir ses figurines prendre vie et s’animer dans des aventures démesurées. La chambre d’enfant devenait un champ de bataille miniature, reflétant exactement la façon dont on jouait, inventant des scénarios épiques avec des objets du quotidien. C’est sans doute cette dimension universelle qui a marqué durablement la mémoire de nombreux spectateurs, dont la mienne. Derrière ses défauts de ton, le film parvient à capter une part de l’imaginaire enfantin et à la projeter sur grand écran.

Du côté des personnages, le contraste est frappant : les Gorgonites, censés être les héros positifs, sont des créatures maladroites, passives et sans grand charisme. Leur design, volontairement grotesque et organique, les place à l’opposé du style carré et percutant des Commandos. Leur chef, Archer, est censé incarner la sagesse et le courage, mais apparaît trop lisse, presque terne, face à l’énergie débordante de leurs adversaires. Résultat : pour beaucoup de spectateurs, surtout enfants, l’attachement allait naturellement vers les Commandos d’élite, pourtant antagonistes.

Les Commandos sont l’âme du film. Leur exagération cartoonesque, leur sens de la punchline et leur folie destructrice en font des personnages inoubliables. Leur leader, Chip Hazard, est la caricature parfaite du militaire américain : sûr de lui, violent, patriote jusqu’à l’absurde. Le film les oppose symboliquement aux Gorgonites dans une lecture plus large : modernisme agressif, consumériste et militarisé face à une tradition naïve, artisanale et pacifiste. On retrouve cette opposition dans le quotidien des familles : la technologie clinquante et invasive de Phil Fimple contraste avec l’approche plus classique du père d’Alan.

Le message est clair : Dante critique une société obsédée par le progrès et la guerre, mais le fait avec une ironie jubilatoire.

Stan Winston et son équipe livrent ici un travail magistral. Les Commandos d’élite, en particulier, sont animés avec une fluidité et une précision bluffantes pour l’époque. Le mélange entre animatroniques et effets numériques, encore balbutiants à la fin des années 90, crée une illusion saisissante : ces jouets paraissent vraiment vivants, tangibles, avec un poids et une présence à l’écran. Les Gorgonites bénéficient également de ce savoir-faire, même si leur design, moins accrocheur, les rend moins mémorables. C’est en grande partie grâce à Stan Winston que le film conserve aujourd’hui une force visuelle intacte.

Jerry Goldsmith, collaborateur régulier de Joe Dante, signe une bande originale efficace, héroïque et martiale. Les thèmes associés aux Commandos d’élite et à Chip Hazard renforcent leur dimension parodique : une musique de guerre triomphante pour des jouets de plastique. Ce décalage crée une ironie subtile, typique de l’univers de Dante. Cependant, le film inclut aussi plusieurs morceaux de musiques préexistantes, notamment du rock, qui parasitent un peu l’identité sonore globale.

Gregory Smith et Kirsten Dunst incarnent deux adolescents venant de milieux familiaux opposés : l’un issu d’un foyer plus modeste et traditionnel, l’autre d’une famille consumériste et technophile (comme dit plus haut). Leur rapprochement est une métaphore simple mais efficace : face au chaos engendré par les Commandos, les clivages sociaux ou idéologiques s’effacent. Leur histoire d’amour, même esquissée, sert de ciment émotionnel au film. Ils deviennent, à leur manière, des « jouets » qui refusent les rôles imposés par leurs parents et choisissent leur propre camp.

La critique sociale culmine dans le personnage de Gil Mars, patron de Globotech, qui incarne la caricature du capitalisme décomplexé. Après le carnage causé par ses jouets militarisés, il débarque sur les lieux du drame et règle tout avec des chèques compensatoires. Le message est limpide : dans une société dominée par les multi-nationales, les désastres engendrés par leurs produits sont vite effacés à coup d’argent, sans remise en question morale.

Malgré les coupes, les compromis et les réécritures, le film reste celui de Joe Dante. On y retrouve son humour noir, sa méfiance envers l’autorité et son goût pour la satire sociale. Ses acteurs fétiches apparaissent (Dick Miller, Robert Picardo, Wendy Schaal), ancrant le film dans sa « famille » de cinéma. La scène des poupées Barbie possédées rappelle directement l’esprit anarchique des Gremlins. Même atténué, l’ADN de Joe Dante est bien présent : un mélange de chaos cartoonesque, de critique acerbe et de tendresse pour les marginaux.

Grâce aux personnages de Larry et Irwin, Joe Dante va même se permettre la critique de ses producteurs, ahurissant et plaisant au visionnage.

Small Soldiers est un film paradoxal : compromis entre un projet horrifique adulte et une comédie familiale vendue à coup de jouets, il en ressort bancal, parfois frustrant. Pourtant, ce mélange bancal est aussi ce qui fait son charme. Visuellement inventif, porté par des effets spéciaux spectaculaires et un humour grinçant, il garde une place à part dans le cinéma des années 90. Pour certains, c’est un film mineur de Joe Dante. Pour moi, c’est un objet culte qui incarne un fantasme universel : et si nos jouets prenaient vie ?

StevenBen
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le 23 sept. 2025

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Steven Benard

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