Le 23 mai dernier, après un passage en coup de vent au festival de Cannes, Solo : A Star Wars Story sortait sur grand écran. Quatrième film de la saga Star Wars depuis le rachat de la licence par Disney en 2012 et deuxième censé sortir des clous en sa qualité de spin-off après le plutôt moyen Rogue One : A Star Wars Story, il s’agit également du film consolidant la stratégie de liaison d’univers mise en place par la société aux grandes oreilles. Ah oui, et c’est nul aussi.


En mai 1977, le grand public avait la chance de découvrir au détour d’une cantina enfumée le personnage qui deviendrait l’un des plus emblématiques et populaires de l’univers Star Wars, le bien-nommé Han Solo. La particularité du bonhomme étant qu’on le présentait d’abord comme un véritable antihéros. Il semblait au premier abord cupide, vénal, égoïste et arrogant. Cette caractérisation, lorsqu’elle se couple au look et au comportement particulier du personnage désigne clairement les influences ayant servi à le concevoir, le western. En effet, Han Solo renvoie directement au cow-boy américain, à ceci près que son colt est remplacé par un blaster et son cheval par un vaisseau (qui, de plus, est présenté comme un tas de ferraille pour souligner le côté baroudeur du personnage). L’autre particularité du gugusse étant que ce qu’il accomplit lors de ses premières minutes à l’écran en fait un véritable contrepoint au caractère très optimiste et grand public présent dans ce premier volet. En effet, le film n’hésite pas à le montrer abattre de sang-froid un autre protagoniste (bon, un criminel quand même, faut pas trop pousser), une scène qui pointe du doigt un côté plutôt sombre et sans limite du personnage, le rendant d’emblée cool et mystérieux. Il s’agira d’ailleurs là d’un relief en forme de caillou dans la chaussure pour Georges Lucas, qui s’appliquera à le rendre beaucoup plus lisse par la suite, notamment dans Le Retour du Jedi et lorsqu’il charcutera Un Nouvel Espoir avec sa version remasterisée (le fameux « Han shot first »). Ce nouveau film donc, était censé montrer Han Solo avant sa rencontre avec Luke et Leia, et donc le rappel de conscience lié à cette relation. On était ainsi en droit de s’attendre (ou du moins espérer) à voir ce préquel explorer, ou du moins respecter un minimum la mythologie originelle du personnage et les influences qui la sous-tendent. Il ne fait ni l’un ni l’autre.


En effet, là où le film aurait pu, ou dû, montrer un cow-boy de l’espace, capable de tuer sans remord et n’accordant d’importance à rien ni personne hormis lui-même, Chewbacca, son vaisseau et son blaster, il présente une véritable tête à claques dont la moindre prise de décision sera dictée par son amour guimauve pour Qi’Ra, la fille qu’il a laissée sur sa planète natale, occupée par l’Empire. Ce qui nous amène au principal symptôme de l’échec du film à nous présenter un Han Solo cohérent : une romance inutile qui rend presque tout le film hors-sujet. Mais pourquoi ? Tout simplement car elle rentre violemment en collision avec les quelques marques de caractère propres au personnage que j’évoquais plus tôt. De fait, à strictement aucun moment du film on ne peut croire que le personnage sans attache du premier volet puisse être l’amoureux transit de cette (pas si) nouvelle histoire. Et là où le film continue de creuser, c’est lorsqu’en plus, il s’amuse à désamorcer les quelques instants héroïques dont pourrait bénéficier le personnage principal avec un humour potache qui ne sert qu’à le tourner en dérision.


Pourtant, le film semble prendre une direction intéressante pendant une trentaine de minutes en début de course. Passée la pénible séquence d’exposition sur Corelia, on y suit en effet Han jouant les têtes brûlées dans un uniforme de l’Empire dans une ambiance de guerre des tranchées du plus bel effet, pour ensuite attaquer un train de marchandise avec de nouveaux comparses hors-la-loi dans le but de voler sa précieuse cargaison. Deux séquences qui centrent le point de vue sur des personnages marginaux dont le système de valeurs est très matérialiste et intéressé, et qui parviennent momentanément à effleurer le western spatial. Un regain de souffle très vite perdu face à la réapparition téléphonée de Qi’Ra et le rappel des motivations contrefaites d’Han.


S’ensuivra une bonne heure de film montrant la mise en place et l’exécution du fameux « raid de Kessel » (cité dans Un Nouvel Espoir), avec la succession fulgurante de tous les éléments que l’on sait liés au personnage. Sa rencontre et son « amitié » avec Lando, la découverte du Faucon et l’explication que personne n’attendait, et dont tout le monde se contrefout, sur le sound design particulier du vaisseau, le même Faucon Millenium qui fait d’ailleurs l’exploit de passer de vaisseau flambant neuf en immonde carcasse en l’espace de 10 minutes top chrono. On se retrouve finalement au climax final et son jeu de trahison et de faux-semblants à multiple couches rendant le tout, au mieux confus, au pire carrément ridicule. Mais ce qui plante le dernier clou dans le cercueil de l’icône intemporelle qu’est Han Solo, c’est la scène du duel final, couteaux contre blaster, qui, malgré l’idée contre-intuitive, peut fonctionner cinématographiquement si elle est correctement mise en scène. Ce n’est évidemment pas le cas. Résultat : le héros se retrouve en plus à passer pour un gros incompétent du pistolet blaster, hilarant de médiocrité.


Au final, on peut tout de même supposer que le côté tête à claque du personnage principal est simplement un reste mal digéré de l’aspect très comédie que les deux premiers réalisateurs (Lord et Miller, auteurs du sublime La Grande Aventure Lego, et virés de la prod de Solo par Kathleen Kennedy au profit de Ron Howard) avaient voulu initialement intégrer au film, un parti-pris qui aurait éventuellement pu fonctionner si ils avaient pris la peine de respecter la construction mythologique du personnage. Malheureusement, on ne saura jamais ce que ça aurait pu donner, et ça c’est bien dommage.


Voilà pour ce qui est des défauts propre au film, mais ce n’est pas tout ! Parce que Solo : A Star Wars Story n’est pas un simple film, c’est un film qui rentre dans une stratégie commerciale beaucoup plus vaste mise en place par Disney. Une stratégie qui amène des défauts tout aussi dommageables que ceux cités précédemment, voire même plus puisqu’ils rentrent en ligne de compte avant même la mise en chantier des films de la saga, et deviennent donc presqu’impossible à éviter.


C’est simple, Disney, à force de vouloir sans arrêt lier ses films avec quelque chose de connu pour les fans des six premiers films, finit par dépeindre un univers global qui fonctionne en vase clos. En effet, dans Solo, on nous montre finalement (à nouveau) le début de la rébellion, les anecdotes survolées dans les films précédents (le raid de Kessel, Solo qui gagne le Faucon), le même insupportable jeu d’échec spatial, etc, en montrant extrêmement rarement un « plus », un élément nouveau. Ce qui est une caractéristique assez fâcheuse pour un univers censé pouvoir faire rêver et travailler notre imagination. De plus, ça crée son lot de faiblesse d’écriture. Obligatoirement, à vouloir trop en montrer à force d’intégration de références, on se retrouve fatalement par survoler l’ensemble. Ainsi, il est fort probable que vous arriviez à la fin du film en vous demandant comment Han et Chewie ont pu développer une complicité alors que leur rapport semble le plus purement mécanique du début à la fin, ou pourquoi Han considère Lando comme son ami lors de son ultime dialogue avec lui alors que ce dernier passe tout le film à se foutre copieusement de sa tronche.


Il semble évident maintenant que depuis l’épisode 8 de Rian Johnson, Disney met en place une stratégie globale de développement d’univers, en liant les films les uns aux autres par des détails, des éléments anecdotiques, comme elle le fait pour son MCU. Ainsi, la paire de dés dorés montrée dans l’épisode 8 réapparaît dès le début de Solo afin d’assurer une continuité.


Tout comme l’apparition du regretté Dark Maul à la toute fin du film, moins là pour son utilisation fan service que pour annoncer un film probablement centré sur le personnage.


Une chose est sûre en tout cas, à force de voir Disney se borner à démolir des personnages aussi emblématiques qu’Han Solo dans un but d’aplanissement grand public immonde, et afin de mieux coller aux impératifs du PG-13, je crains que cette saga culte ne sorte jamais de l’abîme de pauvreté dans laquelle elle est plongée depuis quatre films.

Vinouze
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le 10 juin 2018

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