Kinji Fukasaku faisait état de figure polémique à mes yeux. Plébiscité par bon nombre, je ne partageais pas les louanges qui lui étaient consacrées. L'adaptation cinématographique de Battle Royale était une déception. Combat sans code d'honneur fut assez quelconque. Toutefois, la donne changea avec Le Cimetière de la Morale qui me fit passer une séance géniale. Le très sympathique Guerre des gangs à Okinawa suivit dans la foulée. Bref, Fukasaku rimait pour moi comme un architecte du film de yakuza au même titre que Seijun Suzuki jusqu'à ce fameux jour où je découvris un film dont le titre peut s'inscrire parmi les plus beaux que j'ai pu lire à ce jour : "Sous les drapeaux, l'enfer". C'est à la fois poétique et dur. Et pour ce dernier terme, nul doute que vous en aurez pour votre argent car on vogue là loin des règlements de compte entre truands et corruption endémique. Bienvenue donc dans la seconde Guerre Mondiale, un sujet oh mille fois traité avec son lot de classiques et de nullités.


Dès le départ, je sentais que j'allais tenir ma dernière pépite. Il faut dire que la guerre traitée sous son aspect psychologique est ce qui pourrait être le sujet auquel je suis le plus sensible. L'ironie étant que la révélation se fit grâce à un jeu vidéo du nom de Spec Ops : The Line qui ferait fermer le clapet à n'importe qui jugerait le jeu vidéo comme un divertissement abrutissant et sans fond. Depuis cet instant-là, je me distanciais de la forme cinématographique traditionnelle qui consiste à mettre en scène de grandes batailles pour la conquête de positions stratégiques ou même d'un pays tout entier. Non pas que j'ai fini par détester ça mais je n'avais tout simplement plus cet entrain de jadis. Des titres comme Apocalypse Now, Voyage au bout de l'enfer, Croix de Fer ou encore Le Bateau m'apparurent comme des oeuvres salvatrices pour mieux ressentir l'horreur de la guerre. Si Les Sentiers de la Gloire peut s'arroger le titre de film de guerre number 1, la palme de l'éprouvant revenait sans nul doute au trop méconnu "Feux dans la Plaine" qui n'avait pas son chic pour nous faire ressortir de là malade et désappointé devant tant de souffrance.


Car la guerre ce ne sont pas les explosions, la ruée de tanks ou les pirouettes aériennes. La guerre c'est avant tout le sang, l'inhumanité, le désespoir ou plus simplement l'enfer. Et c'est exactement ce qui va se passer. Fukasaku va nous décrire l'enfer auquel sont confrontés les hommes japonais, bien au delà du mythe du fier et valeureux soldat désireux de mourir pour sa patrie. Loin des acclamations et des fanfares grotesques, Fukasaku suit la traversée de Kon Ichikawa, réalisateur du fameux "Feux dans la Plaine" dont il fut très certainement une source d'inspiration majeure. Plus qu'un simple traitement de cette sombre page de l'histoire nippone, "Sous les drapeaux, l'enfer" est un mix détonnant entre drame humain et description dérangeante des atrocités qui ne nous sont pas dites dans les blockbusters traditionnels. Le cinéaste aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau respecte à la lettre ses ambitions qui en font un sujet d'envergure parfaitement maîtrisé.


A mi-chemin entre documentaire et fiction, c'est le périple d'une veuve éplorée qui continue année après année à savoir ce qu'il est advenu de son défunt mari. Snobée par les hautes instances et même par sa propre fille lui disant de passer à autre chose, elle continue à croire et à persévérer. La vérité semble être son seul moteur de vie. Dans son imaginaire, son mari est un être respectable et vertueux. Et pourtant... Dieu sait à quel point la guerre peut rendre les hommes fous lorsque ceux-ci sont en situation de détresse psychologique marquée par la famine, la maladie et la peur de mourir. Toute la structure de commandement n'a dès lors plus aucune raison d'être, ces individus se changeant peu à peu en monstre, dévoilant la face sombre de l'humanité qui est prête à toutes les pires saloperies possibles pour se maintenir en vie. Cette unité piégée au bout du monde, dans une jungle humide dont la malaria est sa meilleure amie, est vouée à sa propre autodestruction.


Difficile que de rester insensible devant un tel traitement qui bascule peu à peu "Sous les drapeaux, l'enfer" dans une terreur sans nom où les balles ne sont pas l'arme fatale. Ces prétendus drapeaux, l'emblème d'une nation patriote jusqu'à l'extrême dont les japonais sont conditionnés par la figure divine de Hirohito ont perdu un peu à leur manière tout respect envers la vie humaine. Il est normal de fusiller les traîtres. Sauf que le fond des choses est beaucoup plus noire et pas sûr que les endoctrinés n'auraient apprécié ce qui fut savamment dissimulé loin des côtes de l'archipel. Le spectateur passe alors à travers une myriade d'émotions entre colère, stupéfaction, compassion et révolte interne contre toute cette injustice et ces traitements humiliants. Si ceux-ci, se noyant dans une débauche sanguinaire, ne sont pas victimes, ils n'en sont pour autant pas des bourreaux car c'est bien toute cette atmosphère d'une puanteur belliciste qui les a transformés certainement pas pour le meilleur mais bien pour le pire.


Je sais pertinemment bien que je n'en ai pas dit assez mais je trouve qu'il vaut mieux ne rien savoir avant de cliquer sur le bouton "Play". En ce qui me concerne, c'est avec une joie non dissimulée que je vois que Fukasaku peut s'attaquer à des sujets sérieux avec justesse et jusqu'au boutisme. L'ironie étant qu'il est justement bien meilleur là-dedans.

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le 11 mai 2021

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MisterLynch

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