Je m'y attendais un peu avant d'entamer le visionnage, mais ce Speak No Evil version étasunienne est infiniment moins intéressant que la version dano-néerlandaise. Je pourrais tenter de ne pas comparer les deux films, certes, mais ayant vu l'original il n'y a même pas un mois, les deux long-métrages étant sortis à deux ans d'intervalle, et surtout, les deux tiers de leur structure étant extrêmement proches, ça me semble peine perdue.
Pourtant, je ne partais pas défaitiste (j'aurais dû) : avec James Watkins derrière la caméra, à savoir le bonhomme derrière Eden Lake (qui a inspiré les deux scénaristes du film danois, comme quoi tout se recoupe) et l'un des meilleurs épisodes de Black Mirror, je savais que Blumhouse n'avait pas refilé ça à un incapable… bon après, vu qu'il y avait Blumhouse derrière, j'aurais dû me méfier.
Et justement, j'aurais dû me méfier du film dès ses premières minutes, dès le premier contact entre les deux familles, dès le moment où Paddy (James McAvoy) demande à Ben (Scoot McNairy) s'il peut emprunter le transat : dès le début, on sait que c'est un sans-gêne, un type au minimum un peu lourd… bref, pas le genre de personne avec qui on voudrait partir en vacances, et encore moins la famille coincée du cul dont il est question ici. M'enfin, ça, à la limite, s'il faut une carotte pour que le film puisse démarrer, je suis prêt à l'accepter. Par contre, ça me semble être l'occasion pour parler du jeu des acteurs, et de celui de James McAvoy en particulier. Beaucoup ont chanté ses louanges, et franchement, je ne comprends pas pourquoi : il en fait des caisses ! On dirait qu'il tente de nous refaire Split. Sauf que ça ne prend pas, il passe pour grossier et stupide plus qu'autre chose. Je préfère de loin son alter ego néerlandais, Fedja van Huêt, qui arrivait à se montrer infiniment plus menaçant tout en étant très mesuré dans son jeu. Parce que bordel, maintenant que j'y pense ! Dans le film dano-néerlandais, il y a un véritable côté proie et prédateur, et ce, dès le tout début du métrage, dès la reprise de Monteverdi plus précisément : Patrick ayant pris pour cible Bjørn à ce moment-là, car il s'émouvait d'un chant.
Quant aux autres acteurs, même s'ils ne sont pas mauvais, ils donnent un peu l'impression de jouer dans des films différents, je n'ai pas vraiment apprécié l'ensemble, même si je retiendrais Aisling Franciosi, qui m'avait déjà marquée dans le très bon The Nightingale. Plus positif, qu'on aime ou non le fait que les enfants aient un rôle plus important (j'y reviens plus tard), je n'ai rien à reprocher à leur prestation.
Bref, en tous cas, je retiendrais 2 gros problèmes de ce Speak No Evil version US (sans que ce soient les seuls défauts bien évidement) : ses 40 dernières minutes (ça fait beaucoup pour un film de 1h50 générique compris), à savoir à partir du moment où cette version bifurque face à l'originale, puis son manque de subtilité, sa volonté de tout expliquer, de tout répéter au spectateur, comme si ce dernier était trop con pour comprendre la moindre chose par lui-même.
Commençons par ce dernier point, et d'ailleurs, profitons-en pour reparler du côté chasse, du côté proie et prédateur évoqué plus haut. Dans le film danois, c'était subtil, ici… bah, c'est grossier : on nous explique à plusieurs reprises que Paddy est un chasseur, et au cas où vos parents auraient fait du punching-ball avec votre tête à la naissance, Paddy nous le rappelle d'une manière tout à fait subtile au cours d'un dialogue. Idem au niveau des enfants choisis par le couple, dans le film original, on comprend qu'ils en choisissent un d'une nationalité différente du futur couple victime afin de brouiller au plus possible la communication : ici, on nous répète bien le fait que c'est un enfant danois (une référence au film original, vous vous en doutez), qu'il ne parle pas la même langue, encore parce qu'on est probablement trop con. Le pire, c'est que le film tente d'être raccord avec l'original, de lui reprendre ses moments, ses phrases clés. On retrouve la scène du repas dans laquelle Ciara tente de dicter à sa « future fille » comment elle doit se comporter à table, on retrouve aussi la scène de la danse, mais on ne retrouve pas le malaise par contre, Watkins n'arrivant pas à l'instaurer comme le faisait si bien Christian Tafdrup. Et la cerise pourrie sur le quatre quart premier prix : on retrouve le fameux « Parce que vous m'avez laissé faire », balancé ici n'importe comment, comme si c'était inscrit dans un cahier des charges. Le placement de ladite phrase n'étant de toute façon absolument pas pertinent, surtout à ce moment-là, alors que Paddy vient de soutirer du pognon à la famille d'américains (ça me semble évident pourtant que l'un des nombreux éléments qui rend le couple hollandais effrayant soit le fait qu'on n'apprenne jamais leurs véritables motivations derrière tout ça).
Passons maintenant à ces 40 dernières minutes radicalement différentes du film original. Premièrement, et c'est là où je ressors la carte des enfants posées sur le plateau plus haut : ils ont un rôle plus important, et c'est grâce à eux que les adultes du couple victime vont être tenus au courant des agissements du couple bourreaux. Bon après, c'est aussi une rustine pour expliquer une énième fois ce qu'il se passe aux spectateurs : si des enfants sont capables de comprendre ce qui est en train de se jouer, les adultes aussi, vous saisissez la logique ? D'autant plus que la gamine passe trop vite de « j'ai 12 ans et je suis incapable de faire quoi que ce soit » à « je sauve toute ma famille et arrive à me défendre face à mon agresseur ». M'enfin, si je m'attarde sur tous les problèmes liés au scénario, j'en ai pour la nuit.
Mais ce qui diffère le plus entre ces deux versions de Speak No Evil, ce sont les 25 dernières minutes, et surtout, ce long moment en mode home invasion qui n'a rien à faire là. Alors, je vous rassure, dans le genre, c'est mieux qu'un Rambo V… mais c'est moins bien qu'un Maman, j'ai raté l'avion !. Je pourrais pinailler sur le fait que je n'ai rien saisi à l'architecture de la maison, ce qui ne m'a donc pas aidé à piger l'emplacement des personnages en temps réel (et ce n'est pas comme si j'avais l'impression que ça apportait quelque chose au film ou que c'était voulu par le réalisateur, en tous cas, je ne vois pas ce que ça apporte)… m'enfin, ce serait perdre plus de temps que j'en perds déjà en écrivant sur ce truc. Bref, le problème de cette séquence c'est que ce n'est pas intéressant : pas cathartique, pas fun, pas original, pas angoissant, trop long… Encore une fois, sans aucun intérêt. Les deux seules explications que je vois à cette fin sont que, vu que c'est un film à destination des américains, il leur faut de l'action, et vu que les protagonistes sont américains, ils ne vont pas se laisser faire. Vous pensez que j'exagère ? J'en reparle un peu plus bas.
Dernier point que je n'ai pas mentionné jusqu'ici, le côté socio-politique. Encore une fois, le film original abordait cette branche, et encore une fois, elle l'abordait de manière plus implicite. Le Ne dis rien de 2022 pouvant être perçu comme une critique de la société danoise (et par extension européenne), qui se laisse faire, par politesse, par pudeur, mais aussi comme une critique de la petite bourgeoisie qui trouve sympa l'idée d'aller fleurter avec des inconnus, des personnes aux idées politiques différentes des leurs, mais qui n'hésiteront pas à les bouffer à la moindre occasion.
Dans la version 2024, il y a aussi ça, et encore une fois, de manière plus explicite… bien plus explicite. La famille de Paddy, vous savez quoi ? C'est des fermiers, des paysans, des gueux, ils tuent eux-mêmes les animaux qu'ils ont à la ferme, ce sont des viandards, ils chassent le renard pour préserver l'équilibre de l'écosystème, ils roulent en SUV, baisent tous les jours, c'est le mâle qui domine ! Commencez-vous à comprendre toute la subtilité de chef-d'œuvre ?… En face ? Ce sont des bourgeois qui roulent en tesla, la femme est végétarienne bien sûr (déjà dans le film original ça, mais au moins il n'appuyait que sur ça lui), ils ne baisent qu'une fois par mois, son mari est un homme soja qui se fait dominer 24 heures sur 24 ! Devant une telle subtilité à se fracasser le crâne contre un mur en écoutant du Jul remixé par David Guetta et en votant Éric Zemmour dans une version IRL d'Human Centipede, me vient naturellement une question : c'était quoi le projet ?
Nous refaire une Eden Lake en mode ceux qui habitent dans les campagnes sont tous des gros beaufs violents, arriérés et racistes (ah oui parce qu'il y a aussi un passage comme ça, mais on point où j'en suis, je préfère passer à autre chose) ? C'est dommage, ça fait juste passer le réalisateur pour un débile plein de préjugés.
Nous montrer deux types de familles caricaturales pour se foutre de leurs gueules ? Mais à ce compte-là, pourquoi faire en sorte que l'une vainc l'autre ? Le film prend clairement parti pour les américains, il prend clairement parti pour Louise (Mackenzie Davis), la femelle dominante de la maison qui ne cesse d'humilier son mari devant tout le monde, alors même qu'elle lui a été infidèle.
Nous montrer que les américains, eux au moins, ils ne se laissent pas faire ?… Vous savez quoi ? C'était ça le projet ! Oui, ce couple est sauvé… car ils sont américains. Je n'invente rien hein ! C'est un objectif qu'assume le réalisateur en interview. Ça explique pourquoi tous les autres couples avant ne s'en étaient pas sortis. Parce que, eux, ils ne l'étaient pas ! C'est d'une débilité !
Il y a tout de même quelque chose de positif que je retiendrais de ce film et que l'original n'avait pas, c'est le côté transmission. Le garçon transmet les agissements des bourreaux à la fille qui, en retour, lui transmettra sa peluche pour le réconforter lors de la dernière scène. Paddy a transmis sa violence à ce même garçon qui l'achèvera brutalement à la fin du film. Et puis, c'est l'absence de transmission, de l'absence d'un bon père et de l'absence de la famille parfaite qui pousse Paddy à agir comme il le fait. Alors, ça ne sauve pas le film pour autant, et ç'aurait pu (dû) aller plus loin, pourquoi pas en faisant de Ben une sorte d'homme toxique qui s'ignore, en le transformant en une sorte de Paddy bis, genre J'ai rencontré le diable ? Ç'aurait apporté quelque chose d'un peu plus pertinent à l'ensemble au moins. Non parce que là, à part conforter le membre typique du 18-25 dans son délire, ce personnage est détestable de bout en bout. C'est le cliché du « cuck », de l'homme soja qui se met à paniquer lorsque c'est le bordel, qui rate tout ce qu'il entreprend, qui se fait dominer par tout le monde. À croire que James Watkins est juste un gros débile qui a tenté de faire un film de gauche. Limite, j'ai envie de traiter le réalisateur de « wokiste », pourtant un terme que je répudie pour des raisons évidentes.
Ah oui, parce que truc que j'ai gardé en réserve jusqu'ici : McAvoy a calqué la personnalité du personnage qu'il interprète sur… Andrew Tate (je pourrais limite achever ma critique ici tant c'est complètement con). Une personnalité que toute personne saine d'esprit déteste pour des raisons évidentes. À partir de là, inutile d'aller chercher bien loin pour comprendre l'emprise qu'il a sur sa femme, le lien avec la pédophilie, le côté viriliste et beauf… et pourtant, à la fin, Andrew Tate ou non, je rêvais juste que Paddy éclate toute la famille d'une manière bien sanglante ! J'ai paradoxalement trouvé ce film davantage pro-virilisme qu'anti-virilisme tant les personnages sont insupportables et le film mal écrit, preuve que c'est un échec sur toute la ligne. Enfin, pas de chance pour moi et pour Paddy, c'est lui qui finit par se faire éclater la gueule de cette façon. La violence graphique est là, la violence psychologique, elle, a disparue depuis bien longtemps.
Finalement, on ressort de ce Speak No Evil « content » pour les personnages, content pour ces Américains que rien n'arrête. Qu'importe si cette fin n'a aucun impact ! Les gentils ont gagné ! Les gentils sont sauvés ! Eh oui ! Vive l'Amérique ! Vive les versions édulcorées ! Vive les versions Disney ! Vive les Big Mac et la production culturelle qu'on oublie aussitôt après les avoir consommées ! Hâte que les Chinois vous éclatent la gueule ! (seule l'une de ces dernières affirmations est dite de manière non ironique, saurez-vous deviner laquelle ?)
Ce Speak No Evil 2024 se laisse regarder hein, ce n'est pas non plus le pire film que j'ai vu de toute ma vie… mais il se laisse regarder parce qu'il reprend les bases d'un excellent film, parce qu'il a beau rater quasiment tout ce qu'il entreprend, les fondations sont là, et elles sont solides. C'est un film pour texans et autres américains-mentaux, pour des personnes incapables de regarder un film étranger… et ne me parlez pas de sous-titres, parce que le film original était déjà bien à 90 % en anglais.
Au moins, avec un peu de chance, ça poussera les gens à mater le film original, c'est déjà ça… même si le pire serait que la version de 2024 arrive à l'éclipser… mon Dieu ! Je ne veux absolument pas vivre dans cette timeline !