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Il y a quelques mois, un vidéaste cinéma américain que j’aime beaucoup, Patrick (H) Willems, a publié un essai sur les films débordant de paperasse. Ces enquêtes où les protagonistes triment sur de longues périodes à la recherche de l’aiguille dans la proverbiale botte de foin qui fera flancher le géant auquel ils s’attaquent. Pensez à Erin Brokovich, Zodiac, All the President’s Men (séminal dans le genre), ou évidemment Spotlight. La conclusion de sa vidéo était que ce qui rend si excitant cette fouille méticuleuse dans des archives, coupures de journaux et autres enregistrements, une activité à priori anti-cinégénique, c’est de voir des gens extrêmement pros faire leur boulot de la plus belle des manières. Du competence porn, comme il l’appelle, qui rend haletant le grind obsessif des personnages, et à la finalité sous forme d’Eurêka complètement cathartique.
Le film de Tom McCarthy, par delà ses thématiques saisissantes sur lesquelles je reviendrai par la suite, est un représentant solide du genre. Comme tout bon film dossier qui se respecte et construit sa vision large au fur et à mesure de l’enquête, Spotlight croise ses témoignages et interviews, ses découvertes de détails faisant tout basculer, et crée un réseau de faisceaux convergents vers des éclatements de vérité avec une tenue remarquable. Même en connaissant la finalité de l’histoire, la séance menant à cette critique étant un nouveau visionnage une décennie après le premier, on ne peut qu’être saisi par ce tableau de liège mental sur lequel les brins de ficelle rouge s’entrelacent. Et en plus la partition comprend un de ces rares moments qui vous fait fortement réévaluer le talent d’un interprète, façon Naomi Watts dans le casting de Mulholland Drive, alors que Marc Ruffalo explose en émotion. Une gueulante brève, évacuation d’une frustration devant le silence d’une ville, qui hérisse le poil et fait poindre les larmes. Si j’appréciais l’acteur avant cela, c’est bien cette scène qui dévoile un potentiel fou, qui éclipse les pourtant très bons collègues de l’acteur.
Sans doute qu’une telle réaction à ces quinze secondes qui surviennent dans le dernier quart du métrage provient également du sujet dont les proportions gonflent crescendo jusqu’à devenir, en toute logique, bibliques. Celui de l’étouffement massif des méfaits du plus grand et du plus respecté des réseaux pédocriminels du monde. Une mystification qui couvre des prédateurs méthodiques préméditant leurs viols et n’agissant donc pas par impulsion. Ce sont de dangereux maniaques qui, protégés par l’égide papale, se sentent intouchables, voire justifiables dans leurs atrocités. Et pour cause, Boston a une peur panique de s’attaquer à une institution bien trop influente dans un monde que l’on voudrait raisonné. L’enquête n’a d’ailleurs lieu que parce qu'elle est poussée par un rédacteur en chef juif et non bostonien, et donc peu échaudé par le pouvoir d'intimidation du clergé catholique.
S’attaquer à cette institution, c’est s’attaquer à un système de croyance profondément ancré, celui-là même qui a fait taire de si nombreuses victimes. Celles d’une emprise spirituelle qui démolit autant le corps que la psyché, et efface tout semblant de normalité sociale. Les proies se murent alors dans le silence de la honte (comment accuser Dieu?) et trouvent refuge dans la drogue, ou la mort. Le témoignage des survivants est éreintant, et leur nombre effarant.
Plus effrayant encore sont les lois du Massachussets qui plafonnent les dédommagements à 20 000$ du fait du statut de l’église, et les délais de prescriptions à dix ans pour viol sur mineur (jusqu’en 1996 où ils sont passé à 15). Les signes d’un système complice, dont le détournement du regard s’est monnayé.
En plus d’être un film d’enquête journalistique formidable, Spotlight est également testamentaire. Ses événements se déroulent en 2001, tournant majeur pour la presse papier (et plus particulièrement locale telle le Boston Globe) où commence son déclin massif au profit de l’avènement du web. Dans l’ère de l’immédiateté, les enquêtes de fond s’étalant sur des années se font denrées rares. Et cela même sans évoquer l’ère de post-vérité dans laquelle nous avons plongé…