Stalingrad : la passionnante fresque militaire de Jean-Jacques Annaud

Introduction


Jean-Jacques Annaud est probablement l'un des réalisateurs français les plus passionnants de son temps. Il fait partie de cette frange du cinéma français ayant réussi, aux côtés de Luc Besson ou Christophe Gans, à se faire un nom à l’internationale, y compris à Hollywood. Jean-Jacques Annaud, c'est, au même titre qu'un James Cameron diront certains, mais davantage à mon sens d'un Werner Herzog, le cinéaste des défis, car oui, de défis, sa carrière en est jonchée : de la fresque préhistorique est quasi muette La Guerre du feu, jusqu'au tout récent film de feu Nôtre-Dame brûle en passant par l'adaptation filmique du labyrinthique roman de Umberto Eco Le Nom de la Rose, le sublime conte animalier L'Ours ou encore le pharaonique Sept ans au Tibet. C'est ainsi que, friand de nouveaux défis techniques à relever, le cinéaste se lance en 2001 dans l'aventure Stalingrad.

Synopsis


Automne 1942. Pendant le siège de Stalingrad, le tireur d'élite russe Vassili Zaitsev est repéré par l'officier politique Danilov, qui décide de faire de lui un héros de propagande. Le siège s'éternisant, l'état major allemand dépêche son meilleur sniper pour l'éliminer.

Analyse


Lorsqu'il évoque Stalingrad, Jean-Jacques Annaud aime à parler de "petit film intimiste". Et pour cause, avant de succomber, pour des raisons évidentes de contextualisation, à la grande fresque militaire, le réalisateur de L'Ours souhaitait réduire son film au stricte minimum, soit à la confrontation silencieuse des deux snipers. Sachant cela, l'on comprend mieux ce qui saute littéralement aux yeux. On le sent de bout en bout, ce qui passionne avant tout le cinéaste, c'est cet affrontement, cette relation à distance entretenue par deux snipers qui se traquent, s'observent, se jaugent, tentent de se comprendre, chacun s'échinant à attirer l'un sur le terrain de l'autre. Sans surprise, ces scènes s'imposent comme les plus inspirées du film, et par conséquent, les plus passionnantes cinématographiquement parlant. Une fois de plus, Annaud fait montre de sa parfaite maîtrise du langage cinématographique : ces séquences sont quasi dépourvues de dialogues, toute la tention, toute l'émotion et d'abord véhiculée par le son et l'image pour un résultat bluffant. Sans la moindre ligne de dialogue, le spectateur comprend instinctivement les rapports de force entre les deux personnages. C'est alors une fascinante partie d'échec qui se déploie sous les yeux du spectateur. "Ce que j'aime dans l'homme c'est sa partie animale", aime à préciser Jean-Jacques Annaud, et lorsque l'on voit Stalingrad, cela semble évident. Annaud filme en effet les deux hommes comme il filmerait deux animaux sauvages, deux prédateurs. Il capte notamment avec brio l'étincelle de vie dans le regards bleu azur de ces deux chasseurs évoluant dans l'immense jungle bétonnée, déstructurée et mortifère de Stalingrad.

Afin d'étoffer son récit, Annaud dissémine tout au long du film des indices concernant la situation de la bataille de Stalingrad en 1942, une bataille où deux armées, mues par deux idéologies extrêmes, se battent pour quelques mètres de terrain changeant incessamment de main. Le cinéaste fait également le portrait d'une armée rouge sous-équipée et au bord de la rupture. A travers la mise en avant d'une armée en difficulté, Annaud dresse le portrait d'une URSS quasi à genoux, sur le point de basculer. Ainsi, le cinéaste jongle avec les échelles, utilisant l'état d'une armée pour parler de l'état d'un pays tout entier. Niveau mise en scène, le procédé et le même, ainsi, l'on ne compte plus les scènes, voir les plans, au cours desquels Annaud alterne entre filmage de l'action à taille humaine (suivant le plus souvent le personnage de Vassili Zaitsev) et plans larges dévoilant la lutte acharnée pour la prise de la ville de Staline. Le duel Zaitsev/König devient à lui seul l'illustration la plus parfaite et la plus épurée de la grande bataille de Stalingrad. Il est l'illustration de la lutte des classes et de l'opposition d'une Union Soviétique montante, pleine de ressource, et d'une Allemagne perfectionnée mais éssouflée (le physique des deux acteurs illustre d'ailleurs parfaitement la différence entre Allemagne et URSS à ce stade de la guerre).

L’URSS étant au bord du gouffre, les incroyables exploits de Zaitsev tombent à point nommé pour regonfler le moral de l’armée et lui redonner confiance en la victoire. Ainsi, le film propose une réflexion sur la figure du héros et ses répercussions sur l'être humain, le héros étant cette figure inspirante et transcendante menant les hommes à se dépasser pour accomplir de grandes choses. Annaud dresse également une critique de la manipulation de la figure héroïque, devenant ainsi l'incarnation même d'une idéologie. Le héros en est alors complètement dépendant, ainsi, lorsqu’il ne la respecte plus, le héros est tout simplement détruit. Le héros devient finalement une figure chimérique n'ayant plus grand chose à voir avec l'homme derrière la légende. En ce sens, Stalingrad devient une parfaite illustration de la fameuse phrase du L'Homme qui tua Liberty Valance de John Ford : "Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende".

Si Stalingrad a aujourd’hui atteint le statut de film culte, le principal reproche qui lui est fait demeure sa romance souvent considérée comme hors-sujet ou ridicule. Elle demeure pour ma part une réussite, bien introduite et développée, coulant de source grâce à l'incroyable alchimie opérant entre Jude Law et Rachel Weisz, Annaud nous donne à voir une fort belle intrigue amoureuse qu'il a le mérite d'arrêter à temps au cours d'un dernier plan où la caméra elle-même semble de trop, s'éloignant afin de ne gâcher les retrouvailles de nos deux tourtereaux. Annaud a l'intelligence de ne pas étirer sa romance outre mesure, au risque de tomber dans une guimauve émolliente à la manière d'un Michael Bay dans Pearl Harbor (sorti la même année).

La seule ombre au tableau demeure pour ma part la présence de Nikita Khrouchtchev, campé par Bob Hoskins. Ce dernier interprète son personnage de façon tellement outrancière et caricaturale que chaque apparition du personnage serait susceptible de me faire sortir du film s’il n'était pas aussi captivant. Un personnage qui, dès sa première apparition, fait ce que le film ne fait jamais, à savoir déblatérer des dialogues explicatifs à la limite du lourdingues. Un personnage plus subtil et nuancé aurait été le bienvenu.

En plus d’un casting quatre étoiles, le film bénéficie des décors pharaoniques de Wolf Kroeger mis en valeur par la superbe photographie de Robert Fraisse. Après Le Nom de la Rose, Jean-Jacques Annaud se paye une fois de plus les services de James Horner qui compose une bande originale à la mesure de la plus grande bataille de la Seconde Guerre mondiale. Avec Stalingrad, le réalisateur confirme également son sens quasi chirurgical de l'ellipse. Les dialogues, quant à eux, se font relativement rares, le cinéaste utilisant tout d'abord, et c'est bien normal, la narration visuelle pour transmettre à la fois des informations et de l'émotion au spectateur. Ce découpage, ce montage et ces dialogues au cordeau allègent drastiquement le film.

Conclusion


Ainsi, avec Stalingrad, Jean-Jacques Annaud nous offre un autre grand spectacle, à la fois captivant, émouvant, intelligent et cinématographiquement passionnant, dont le cinéma français manque aujourd’hui cruellement.

Antonin-L
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes films préférés, Mes scènes de cinéma favorites, Mon top des films de Jean-Jacques Annaud et Ces films visuellement sublimes

Créée

le 7 nov. 2022

Critique lue 84 fois

2 j'aime

Antonin-L

Écrit par

Critique lue 84 fois

2

D'autres avis sur Stalingrad

Stalingrad
Lonewolf
5

Critique de Stalingrad par Lonewolf

Donc, Annaud part d'une histoire réelle, celle de Vassili Zaitzev, qu'il romance TRES largement, ainsi que d'un de ses faits d'armes supposé, un véritable duel contre un as du tir allemand. Supposé...

le 22 mars 2011

19 j'aime

4

Stalingrad
Mia_Landa
8

Critique de Stalingrad par Mia_Landa

Un grand film. Je ne pourrais m'empêcher de le comparer à American Sniper de Clint Eastwood, et je tenterais d'expliquer pourquoi j'ai préféré le plus récent. Stalingrad est un magnifique film de...

le 24 mai 2017

14 j'aime

12

Stalingrad
Charles_Dubois
4

Le réalisme et la niaiserie ; tel est le vrai conflit de ce film.

L'affiche de Stalingrad était alléchante ; le passage de Jean - Jacques Annaud au film de guerre et le face à face entre Jude Law et Ed Harris semblait prometteur. Quelle déception au final. ...

le 23 oct. 2014

11 j'aime

Du même critique

Vaincre ou mourir
Antonin-L
1

Vide sidéral

J'attendais beaucoup, peut-être trop de ce premier film estampillé Puy du Fou, qui avait tout, selon moi, pour être le Braveheart français. Et même si je ne pouvais cacher une certaine circonspection...

le 15 févr. 2023

14 j'aime

7

Le Dernier Duel
Antonin-L
4

Maladroit, bête, prétentieux… Du pur Ridley Scott

Cette critique contient des spoilersIntroduction Réalisateur des Duellistes, Alien, Blade Runner, Thelma et Louise ou encore Gladiator, Ridley Scott semble depuis quelques années victime d'une longue...

le 27 juin 2023

13 j'aime

11

Braveheart
Antonin-L
9

Virtuose, universel et intemporel

Introduction : Lauréat de 5 Oscars, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur, Braveheart marque l'entrée de l'immense acteur Mel Gibson au panthéon des grands réalisateurs. Si beaucoup...

le 11 oct. 2023

9 j'aime

6