Ce n'est plus une impression ni même un sentiment inavouable, Dario Argento, l'un des maîtres de l'horreur, est aujourd'hui une vieille pierre. Son génie de la caméra envolé, son sens de l'esthétisme macabre disparu, son talent de conteur évaporé. Est-ce à cause de la décadence du Cinéma italien qui, aujourd'hui, n'existe quasiment plus ? Ou alors est-ce sa cure de désintoxication ? On ne le saura jamais, mais c'est avec une grande tristesse que les amateurs d'épouvante de qualité regardent ce qu'est devenu l'auteur de Profondo Rosso, Inferno, Ténébre ou Suspiria. Opera est-il digne d'apparaître auprès de ces quatre chefs-d'oeuvre du cinéma de genre ?

Suite à la défection forcée de la cantatrice principale, la jeune chanteuse Betty accepte le rôle de Lady Macbeth dans l'opéra de Verdi, malgré la réputation de malchance véhiculé par ce rôle. Elle se retrouve vite la proie d'un mystérieux fan psychopathe avec lequel elle semble avoir un lien.

Après avoir placé l'action de Suspiria dans une école de danse classique renommée, Argento décide d'explorer un autre décors parmi les plus impressionnant : l'opéra. Logique, tant les héros et héroïnes du metteur en scène transalpin sont pour la plupart des artistes. C'est aussi un lieu parfait pour laisser exploser la virtuosité du réal à la caméra, et sur ce point on peut tout de suite être catégorique : on est en présence d'un film tout simplement génial d'un point de vue visuel. Toujours aussi porté sur l'éclairage coloré provoquant un certain malaise, toujours aussi capable de concevoir des séquences chocs d'un raffinement sans pareil, sans oublier une maîtrise de l'espace qui emmène une utilisation de celui-ci tout simplement prodigieuse. En témoigne cette séquence d'une efficacité redoutable et reprise (comme d'hab') par Tarantino dans Kill Bill. En quelques secondes, le réal réussi à donner un meurtre gratiné et en profite, au passage, pour installer une situation pas folichonne pour l'héroïne désormais sans aucun moyen de contacter l'extérieur. Il suffit maintenant que la qualité du scénario soit au RDV, et là...

C'est le drame. Opera est une sorte de retour à des évènements plus terre-à-terre après le très moyen Phenomena, et dessine la silhouette du futur Syndrome de Staendhal en décrivant une relation assassin-proie bien sadique. Seulement, là où le dernier film potable d'Argento s'attache à bien construire ses personnages, à créer une étrange empathie chez le spectateur, ceux d'Opera ne font que traverser le métrage de la façon la plus transparente possible, et ont parfois des réactions vraiment débiles, comme quand l'héroïne rentre chez elle, limite en sifflotant, après avoir vu son ami se faire massacrer sous ses yeux. Et s'il n'y avait que ça, c'est aussi toute l'enquête qui ne marche pas, ni le twist final poussif et inoffensif au possible tant l'identité de l'assassin est évidente. Ajoutons à cela une situation réaliste (l'opéra joué dans le film est réellement considéré comme maudit) jamais exploitée à bon escient, et que les fans des motivations des tueurs agissants dans les gialli soient prévenus : ce n'est pas ici que vous en aurez pour votre compte en surprises glauquissimes...

D'ailleurs, il faut être conscient que la situation d'Argento à l'époque, qui sort donc d'une cure de désintoxication à la drogue et qui vient de connaître un échec cuisant avec Phenomena a édulcoré l'envie jusqu'au-boutiste de l'auteur. A l'image de son héroïne en totale communion avec une nature lors du final de cet Opera, il est en pleine renaissance et aussi en plein rejet du cinéma de genre. Ca se sent, et ça n'en finit plus de se confirmer d'ailleurs. Bien décidé, cependant, à continuer de faire recette, Argento décide de placer des éléments vendeurs pour l'époque, comme cette odieuse BO d'une nullité absolue constitué, d'une part de l'opéra McBeth de Verdi, de l'autre un hard rock tout naze. Ca vend auprès des jeunes, mais ça bousille littéralement des séquences potentiellement très fortes. Imaginez donc, l'héroïne est attachée, le tueur lui scotche des aiguilles sur les yeux, de sorte qu'elle ne puisse que regarder le massacre à venir (au passage, on peut y voir une certaine analogie réalisateur-tueur, l'un des sujets favoris du réalisateur romain). En bref, c'est vicieux, horrible... et soutenu par ce genre de truc.

Au final, on ne peut pas considérer Opera comme l'un des chef-d'oeuvre de Dario Argento, mais comme une oeuvre visuellement forte, bien au-dessus de la production de films d'horreur actuelle.
Bavaria
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le 23 août 2010

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