IA-t-il besoin de sauver le monde ?

Nous ne pouvons pas enlever à Gareth Edwards son goût, et doigté, pour le spectaculaire malin : qu’il s’agisse d’un premier jet aussi confidentiel que révélateur (Monsters), ou de films de « commande » transcendant au mieux le carcan hollywoodien (Godzilla, Rogue One), le cinéaste a démontré en seulement trois films l’étendue de sa vista visuelle, doublée d’un semblant d’écriture bienvenue. Aussi, en marge du marasme caractérisant les productions à forts moyens, la venue de The Creator suscitait de belles promesses.

S’il n’a rien du chef d’œuvre, ou s’il ne révolutionne pas le genre de l’anticipation, gageons qu’il sera parvenu à s’y faire une petite place : peut-être est-ce le fait de sa « proximité », le concept et les évolutions relevant de l’IA (quoique galvaudée) agitant à tel point notre quotidien que son intrigue ne paraît pas (ou peu) farfelue. Certes, il n’est et ne sera pas le dernier à le faire, A.I. de Spielberg s’étant notamment déjà emparé du sujet, mais la puissante émulation entourant le phénomène lui confère ainsi une pertinence de choix.

Puis, Edwards oblige, The Creator s’avère somptueux : il tire le meilleur du théâtre asiatique, truffé de sites et panoramas à couper le souffle, et livrés à nous dans un écrin du plus bel effet. La photographie sublime du tandem Fraser/Soffer y est pour beaucoup, et nous ne pouvons que féliciter ses inspirations et partis-pris en termes de designs et effets visuels, comme autant de marqueurs d’une volonté de bien faire. Le désormais emblématique NOMAD, tout comme les différentes machines et simulants à l’œuvre, confortent chacun à leur manière une sensibilité palpable : un résultat d’autant plus honorable que son budget demeure relativement modeste (80 millions de dollars).

Toutefois, The Creator pèche beaucoup sur le fond, son intrigue souffrant d’une confusion latente qui lui donne de faux airs de simplicité. Entre contexte géopolitique âpre et thématiques éthiques et technologiques profondes, sans oublier la place de l’individu au milieu de ce capharnaüm, le scénario d’Edwards et Chris Weitz est tout sauf facile en tant que tel : c’est plutôt son traitement des rapports de force, surtout armés en l’occurrence, qui saborde en partie son potentiel intellectuel. Et cette même confusion, voire incohérence, n’aide pas sa cause : la posture et domination étasunienne, l’absence concrète de gouvernance(s) (et influence) asiatique et les prétextes liés à NOMAD tendent à appauvrir ses enjeux.

De quoi priver The Creator d’un bel accomplissement, le contenu ne s’avérant pas à la hauteur de son formidable contenant. Ses errements narratifs ne sont néanmoins pas rédhibitoires car, à défaut de bien faire, il aura beaucoup tenté : un brin d’humour en général parcimonieux, de l’émotion peu à peu communicative (l’effet John David Washington) et, en finalité, une véritable proposition de cinéma.