6,5.
Je suis partagé. J'aimerais lui mettre 7 mais je retrouve les kitscheries croquignolesques vues dans The Whale, qui m'exaspèrent, m'endorment ou me donnent envie de zapper, MAIS j'y vois aussi une quête du sublime qui transcende l'oeuvre, du réal à la réal, du maître d'oeuvre à la maîtrise d'ouvrage, du peintre à la toile, du créateur au créé.
C'est parfois maladroit, quand le geste n'est pas bien assuré, quand Jackman part en sanglots difficilement crédibles, quand ça se noie dans des notes de piti piano qui pourtant se veulent mesurées... Et pourtant cette histoire d'amour simple et contrariée fonctionne quand même. Contrariée par une narration explosée en 3 temporalités qui sont en réalité 3 espace-temps qui rendent + complexes et prétentieux une histoire qui pourtant devrait être claire comme l'eau de roche... De La Fontaine, de jouvence, ou de la fable affable.
Contrariée aussi parce que vouée à l'échec par la fatalité, la présence fantomatique d'une femme qui sert d'élément perturbateur dans la quête de transcendance blasphématoire du père Jackman, qui veut se faire Dieu-homme, calife à la place du calife, donneur de vie à la place du preneur de vie. Bref un film poétique qui se déploie sur 3 timelines en se contenant sur 1h30, ça donne une impression de variété mais ça permet pas vraiment de se sentir "plein", comblé, en plénitude, comme l'a ressenti Rachel Weisz à l'approche de sa mort et comme le répète son oraison funèbre.
Ça donne une exemplification du savoir-faire d'Aronofsky mais ça laisse sur sa faim, surtout quand ça touche à la représentation spatialo-mystique qui brille à la fois par son code couleur, mais aussi par un certain mauvais goût pas vraiment assumé en tant que tel, donc un futurisme spirituel premier degré mais pas de première qualité, qui brille en écho avec l'espace-temps du présent qui a une aura onirique figée, poussiéreuse mais volatile, comme si les particules ne retombaient jamais, comme si même à l'époque de sa sortie cet espace-temps était déjà flanqué d'une atmosphère douce-amère, rigoureusement terre-à-terre par la quête scientifique de santé et d'immortalité pas très très éthique, et cet espace de la chambre à coucher qui semble sorti d'un rêve. Soit un mélange qui se veut foncièrement uncanny et laisse donc matière à appréciations multiples sur la plausibilité de l'histoire, les motivations du héros et son état de santé mentale, à le voir se débattre comme une créature damnée apeurée et éplorée, rasé à blanc et habillé comme un aliéné dans sa représentation futuriste.
Et si après tout il ne s'agissait pas d'un rêve-cauchemar d'un grabataire comateux lui-même en fin de vie, qui expérimente une NDE, une Expérience de Mort Imminente, et la transpose, la projette, sur une épouse hypothétique, un potentiel amour perdu, qu'il n'a d'ailleurs peut-être jamais vécu. L'autre au féminin, c'est lui ? Celui qui ultimement retourne à la terre comme l'Inquisiteur s'autoflagellant parlait de retourner à la cendre aurait-il donc tout inventé pour s'exprimer en vase clos une dernière fois avant de rendre l'âme ? Un baroud d'honneur de la matière grise pour tenter de s'émanciper de cette prison de chair et de sang, représentée par cette bulle qui se déplace tel un vaisseau dans le grand vide spatial ?
Bref s'il ouvre + de portes qu'il n'en referme, il n'en demeure pas moins intéressant pour la fantasmagorie bienvenue qu'il propose, quitte à paraître sérieusement ringardos' à force de se saper comme jamais sous 3 parures dépareillées.