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Caïd, Pègre, Drogue, Crime, Chantage, Machination : Le trafiquant de marijuana Mickey Pearson souhaite se retirer du circuit mais rien ne se passe finalement comme prévu et celui-ci attire toutes les convoitises, les manigances se multiplient et chacun souhaite sa part du gâteau ou comment le réalisateur Guy Ritchie affirme-t-il une fois de plus son style si singulier ?


Un imbroglio rocambolesque parmi les différentes strates de la pègre britannique, au sein duquel chacune ne convoite que deux choses : l'argent et le pouvoir, et pour lesquels chacune est prête à se battre. Depuis Arnaques, crimes et botanique (1998) ; Snatch (2000) ; Rockrolla (2008) jusqu'à The Gentlemen (2020) le scénario reste le même. Le cadre géographique et le cadre social de l'action, l'arc narratif, même l'éventail des personnages restent quasiment identiques. Alors pourquoi cela fonctionne-t-il toujours autant ? Parce que j'ai l'impression que ce n’est pas tant à l’histoire que le spectateur s'attache durablement, mais au style qui la met en scène. Ô combien de spectateurs déçus, bercés par les discours racoleurs des bandes-annonces. Ô combien de films fades aux scenarii prometteurs se sont succédé, tant de promesses de frissons, de larmes et de rires qui se sont soldés par un ennui voire un agacement profond, faute de style. Car c'est ici que réside la pérennité du lien entre les spectateurs et les réalisateurs : le style. S'il y a bien des échanges qui ne trahissent pas, ce sont les regards et les sourires complices que s'échange une pincée de spectateurs entre eux lorsque, une fois la salle plongée dans l'obscurité et les premières images illuminant leur visage, ils remarquent LE style qu'ils étaient venus chercher. Les éclats de rire et les crispations alors se synchronisent. Ce moment précis est un moment de cinéma précieux qu'il est malheureusement encore trop rare de constater dans nos salles.


J’ai une affection toute particulière pour les réalisateurs identifiables au premier coup d’œil : Tarantino, Kubrick, Anderson, Malick, Burton, etc. Quoique appartenant à des styles radicalement différents, je les estime pour une raison particulière : un plan sert à les identifier. Une ambiance, un mouvement de caméra, une thématique suffisent à charrier avec eux tout un univers construit en amont par ces artistes. C'est ici que le style se joue. Inconsciemment ce sont ces univers parallèles – ceux des autres films - qui donnent une véritable épaisseur à la proposition. Les diégèses s'infusent : on ne peut s’empêcher de se demander quelle serait la relation entre le boxeur de Snatch (2000) et l’entraîneur de The Gentlemen (2020) ou entre les caïd d’Arnaques, crimes et botanique (1998) et ceux de Rockrolla (2008), etc. Des spin-off mentaux s'échafaudent alors dans l'imaginaire des spectateurs. Le réalisateur propose une œuvre et les spectateurs se l'approprient. Dès lors, ce style si homogène permet une communication tacite entre les œuvres, faisant d'elles un bloc unique dont on attend toujours une pièce supplémentaire pour en compléter l'univers. Guy Ritchie a une générosité - encore trop rare - dans l'écriture de ses scenarii. Au sein d'eux, ce sont des personnages haut en couleur que livre le réalisateur, des protagonistes à contre-courant comme à son habitude qui parviennent à être charismatiques et élégants en survêtement, à l'image de son style : raffiné et décalé.


Le style idiosyncratique de Ritchie, au-delà de son appétence pour les milieux marginaux et leurs querelles, c’est : flash-back, flash-foward, mind-fuck, freeze, cut, voix-off, zoom, slow-motion. Beaucoup de mots anglais pour exprimer la même chose : le réalisateur s’amuse et balade joyeusement le spectateur de gauche à droite, celui-ci se laissant faire car cela est réalisé avec brio. Il maîtrise parfaitement le tempo de sa narration. Contrairement à d'autres, Guy Ritchie ne balise pas son terrain, il laisse le spectateur se poser des questions sur l'intrigue, les personnages, le dénouement, etc. On trouve une explication à ce style si particulier. Guy Ritchie est initialement issu des formats courts - publicités et clips –. De cela, il a gardé en tête la volonté de raconter toujours plus de choses en peu de plans. Il a gardé pour ces longs-métrages cette urgence du récit par un montage riche et vif. Un montage addictif et accrocheur pour le spectateur. Une idée qu’il a en commun avec un autre britannique, Edgar Wright [Shaun of the Dead (2005) ; Baby Driver (2017)] qui reste le réalisateur avec qui il partage le plus d'atomes crochus. Même constat avec son autre ami - britannique aussi - Matthew Vaughn [trilogie Kingsman (2015, 2017, 2020)], également coproducteur sur ses première réalisations. C'est à se demander si ce n'est non pas un « style Ritchie » mais seulement un style britannique. Un cinéma, hérité des Monty Python, dans lequel l'absurde triomphe et qui tourne en dérision l'image rigoriste dont les Anglais peuvent être parfois sujet. Ne simplifions pas trop. Cela serait oublié tout un pan du cinéma d'auteur dont Ken Loach ne cesse de raviver les revendications sociales.


Mais, « le style Ritchie », ce n'est pas seulement ça. Celui-ci ne réside pas uniquement dans l'enrobage mais également dans la liqueur. Son style repose sur une gestion de la narration, des actions, du suspense et des dialogues. C'est la tension qu'il manie. Le spectateur pressé durant toutes les scènes précédentes se retrouve subitement en lévitation. Comme tendu sur une ligne de dialogue dont il attend avec impatience la résolution. Car comme Tarantino – c'est un peu moins vrai -, Guy Ritchie conçoit chaque échange à la fois comme un élément parfois pivot de l'histoire et comme une fin en soi. L'art de l'échange, du ping-pong verbal. Rien ne semble superflu ou inutile car leur style est efficace. Contrairement à Takashi Miike qui avec First Love, le dernier yakuza peine à tenir le spectateur en haleine et semble le considérer comme acquis sans chercher à le surprendre. Le réalisateur japonais ne joue que sur la forme et en oublie le fond. Voilà la différence majeure. On se laisse guider pour notre plus grand plaisir. On se retrouve ainsi dans la position de Raymond (Charlie Hunnam), assis sur sa chaise à écouter sagement, à croire, ne plus croire, douter, être certain des propos assénés par Fletcher (Hugh Grant), et à le faire jusqu'au bout, sans souffler d'ennuis.


C'est également l'humour britannique qui est jouissif, quoique clivant. Car celui qui se permet d'être politiquement incorrect et d'en rire. Il offre au spectateur une respiration dans les crispations actuelles, ce climat où les vannes doivent être passées sous silence. La presse anglophone (et les autres) en ont d'ailleurs fait leurs choux gras pour taxer le film de racisme et de sexisme. Guy Ritchie ouvre les vannes et cela fait du bien car cela change des productions de plus en plus aseptisées, qui n'osent plus rien. Certes il joue sur des clichés grossiers mais, dans ce cas-là n'oublions pas qu'il met aussi en scène des éléments inhabituels - comme ce garage uniquement tenu par des femmes - sans le surligner, sans brandir avec force l'étendard égalitaire. Cela paraît normal, et c'est très bien comme cela. Où placer le curseur du second degré et jusqu'où doit-il aller, ça je l'ignore. Mais distinguons le rire et la volonté de nuire, soyons plus nuancés. Certains lui reprocheront ses sorties de route à cause de ces invectives - marquantes mais rares - car elles paraissent gratuites et inutiles à l'histoire. Toutefois, c'est oublier que ces personnages borderlines vont de pair avec le style hors-norme du film. L'humour réside dans ce décalage entre la classe irréprochable de ces gentlemen et leurs dérapages. Ce sont les mêmes qui lui reprocheront ce style « mas-tu-vu » voire donneur de leçon à cause de la figure de conteur qu'il endosse et de la structure méta du film (film dans le film). Cela reste des débats intéressants. L'interrogation reste alors en suspens : comment distinguer l'affirmation d'un véritable style de réalisation et son auto-caricature ? La question reste entière et je la savoure.

Moodeye
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le 12 févr. 2020

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