On peut le qualifier de film de genre minimaliste, thriller déroutant et haletant, et film « de téléphone » (on peut citer Buried de Rodrigo Cortes, The Call de Brad Anderson, Locke de Steven Knight) par lequel l’action se déroule majoritairement par … téléphone, on l’aura compris. Dans la veine des films scandinaves, le réalisateur propose un film froid, chirurgical où les personnages évoluent sans artifices, pour nous montrer qui ils sont vraiment.


Le scénario est entièrement basé sur Asger et sa perception. Nous sommes en permanence en sa présence. On ne voit quasiment que lui à l’écran (l’immense majorité des plans contient une partie du corps d’Asger) et nous n’entendons que ce qu’il entend. Ses contraintes physiques sont des contraintes pour le dispositif cinématographique : le huit clos s’impose de lui-même.


La majeure partie de l’histoire se déroulant par téléphone, les acteurs nous transmettent leurs émotions par la voix. Les performances des acteurs hors champ sont absolument magistrales et les appels sont très forts émotionnellement.


The Guilty joue aussi sur les attentes liées au genre du film, qui met souvent en scène des policiers qui contournent les règles établies par leurs supérieurs hiérarchiques pour « faire le bien ». La rébellion est encouragée par le public, qui, lui, pense savoir que le héros sera récompensé par sa désobéissance. Or, nous nous rendons vite compte qu’il ne fait qu’empirer les choses en voulant n’en faire qu’à sa tête et en s’emportant violemment contre certaines personnes. La fin du film approuve un peu son comportement, puisqu’il a pu « se lier » avec Iben mais tout cela aurait pu être évité s’il avait réfléchi un peu plus dès le départ.


Le film explore la puissance évocatrice du son magistralement : « Les images les plus fortes du film sont celles que l’on ne voit pas » déclare Gustav Moller.


Le son associé à une image va tendre à « coller » à cette image. On peut facilement mettre un bruit rose sur une vidéo de mer, et la majorité des gens entendront la mer. On peut mettre une vidéo muette d’une rue passante et le pouvoir de l’image empêchera certains de construire un son mental consistant et détaillé. Le son seul, lui, nous laisse imaginer des images qui lui correspondent. Nos « images mentales » s’améliorent durant l’histoire, sont de plus en plus détaillées selon un mot, un bruit, que l’on interprète.


Pourtant, les informations que nous recueillons sont trop sommaires pour se faire une idée mentale précise de la situation : nous prenons des décisions purement arbitraires basées sur nos sentiments et notre culture. On imagine Michael comme fou, assoiffé de vengeance, dérangé ; on peut lui prêter les traits de personnage que l’on a rencontré dans un film, on imagine d’après un certain angle de vue, la route sur laquelle ils s’enfuient ne sera pas imaginée de la même manière par un français et par un américain… Toutes ces décisions inconscientes sont liées à notre culture et notre personne, ce qui nous fait peur, ce qui nous touche, ce que nous connaissons ou ce que l’on a vu à travers des films ou vécu. Les images ne nous sautent pas aux yeux, nous sommes spectateurs ET acteurs du film, actifs dans la création d’images selon nos influences.


Chaque spectateur « voit » le film différemment et l’image d’Asger qui nous est présentée en même temps que l’on se crée nos images mentales ne change en rien cette perception car nous sentons qu’il fait le même travail de reconstruction mentale que nous. Notre participation au film joue ainsi beaucoup sur l’identification avec le personnage. Le réalisateur parie sur les capacités d’écoute, d’imagination et d’identification du spectateur avec un procédé simple qui fait appel à la complexité du pouvoir du son.


Retrouvez l'analyse sonore complète sur le blog Pouvoir des Sons :
https://lepouvoirdessons.wordpress.com/2018/10/12/the-guilty-gustav-moller-2018/


Bonne lecture !

Pouvoir_des_sons
8

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Créée

le 12 oct. 2018

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