Bong Joon-ho, réalisateur sud-coréen, s’est fait un nom sur la scène internationale grâce à son deuxième long-métrage : Memories of Murder. Inspiré de faits réels, ce thriller policier revient sur une série de meurtres non élucidés qui ont marqué la Corée du Sud. Ce film a non seulement été un immense succès critique et commercial, mais il a également permis d’affirmer le style singulier de Bong Joon-ho, mêlant suspense, satire sociale et un regard acéré sur la société coréenne.
Bong Joon-ho va donc poursuivre son exploration des thèmes sociaux et politiques avec son troisième film. Cette fois-ci, il utilise le genre du film de monstre pour proposer une critique voilée, mais virulente, de la présence militaire américaine en Corée du Sud. Son récit s’inspire d’un incident réel où un employé américain de la base militaire de Yongsan avait ordonné le déversement de produits toxiques dans la rivière Han, un acte qui avait suscité un fort ressentiment parmi la population sud-coréenne. À travers l’histoire d’une créature mutante qui émerge des eaux et s’attaque à Séoul, Bong Joon-ho dépeint les conséquences désastreuses de l’interventionnisme américain et la négligence des autorités locales.
En 2006, The Host est présenté en avant-première mondiale à la Quinzaine des réalisateurs lors du Festival de Cannes. Il bénéficie d’une sortie en Corée du Sud où il devient un phénomène et quelques mois plus tard, à la fin de l’année, le film sort en France où il reçoit un accueil enthousiaste.
Comme dans son précédent film, Bong Joon-ho inscrit une trajectoire intime au sein d’un contexte plus vaste et oppressant. Le trame suit ainsi une modeste famille coréenne qui se retrouve confrontée à une tragédie personnelle alors que leur pays est sous l’influence de puissances étrangères. Lorsque la petite Hyun-seo est capturée par un monstre issu des eaux polluées du fleuve Han, ses proches (un père maladroit, un oncle alcoolique, une tante sportive et un grand-père bienveillant) se lancent dans une course désespérée pour la sauver. Ce récit poignant, centré sur l’amour familial et la résilience, se déroule sur fond d’occupation américaine, où l’ingérence politique et les erreurs écologiques créent un climat de tension.
Au-delà de son aspect spectaculaire, le film s’impose comme une fable politique mordante. Bong Joon-ho y dénonce l’empreinte des États-Unis en Corée du Sud et plus largement, l’impact du colonialisme moderne. L’intrigue trouve son origine dans un événement réel : en 2000, un militaire américain avait ordonné le rejet de produits toxiques dans la rivière Han, causant une vague d’indignation nationale. Le monstre, né de cette pollution, symbolise alors les conséquences destructrices des interventions étrangères. Cette critique implicite de l’occupation militaire américaine a d’ailleurs valu au film un certain intérêt de la part de la Corée du Nord, qui y a vu une œuvre dénonçant l’impérialisme américain.
Si la dimension politique est essentielle, c’est surtout l’histoire familiale qui rend le film si marquant. Loin d’être des héros classiques, les protagonistes sont des anti-héros imparfaits, maladroits et parfois ridicules, mais profondément humains. Malgré leurs différences et leurs querelles passées, ils unissent leurs forces dans une quête désespérée pour retrouver Hyun-seo. À travers leurs échecs et leurs sacrifices, le film illustre une idée chère à Bong Joon-ho : les liens familiaux, même distendus, restent indéfectibles face à l’adversité. Toutefois, cette réconciliation ne se fait pas sans pertes, rendant le récit encore plus déchirant.
Byun Hee-bong, Song Kang-ho, Park Hea-il et Bae Doona incarnent cette petite famille fort attachante. Le patriarche, un grand-père sage et aimant, tente de maintenir l’unité familiale malgré ses erreurs passées. Gang-du est le père simplet mais profondément attaché à sa fille. Le tonton est un intellectuel désabusé et alcoolique, tandis que la tata, une archère talentueuse, est en proie à un manque de confiance en elle. Chacun de ces personnages, aussi imparfaits soient-ils, devient terriblement attachant, formant une famille dysfonctionnelle mais émouvante.
Go Ah-seong incarne Hyun-seo, la petite fille loin d’être une simple victime passive. Malgré son jeune âge, elle fait preuve d’une force et d’une ingéniosité remarquables pour survivre dans la tanière du monstre. Sa fragilité apparente cache une détermination farouche, ce qui renforce l’attachement du spectateur envers elle. Son sort devient le moteur émotionnel du film, incitant la famille (et le public) à espérer son sauvetage jusqu’au bout, même si cela implique des sacrifices déchirants.
La conclusion est un véritable coup de massue émotionnel. La séquence où l’agent jaune est utilisé pour éradiquer la créature rappelle les heures sombres de la guerre du Vietnam, où ce défoliant toxique a causé des ravages humains et environnementaux. Mais au-delà de cette référence historique, c’est le destin tragique de la famille qui bouleverse. Après tant d’efforts et de pertes, le film ne cède pas à une happy end classique : les survivants doivent composer avec la douleur et l’absence, dans une mélancolie typique du cinéma de Bong Joon-ho. Une manière brutale mais réaliste de rappeler que, malgré l’amour et le courage, tout combat ne mène pas toujours à une victoire totale.
The Host est bien plus qu’un simple film de monstre. Derrière son apparence de blockbuster, il dissimule une critique acérée du pouvoir américain en Corée du Sud, un récit familial bouleversant, et une réflexion poignante sur la perte et la résilience. À travers des personnages imparfaits mais profondément humains, Bong Joon-ho réussit à mêler le drame, l’humour et la satire politique avec une aisance rare. Plus de quinze ans après sa sortie, le film reste une référence (le traitement de la pandémie aidant), tant pour son message engagé que pour son émotion brute, prouvant que le véritable monstre n’est peut-être pas celui que l’on croit.