Quand un individu est confronté à la critique, il réagit en règle générale de deux manières. Soit il change de comportement, soit il persiste et signe, s’imaginant trouver là un gage d’authenticité, sans bien souvent réussir à échapper à la caricature. Lars Von Trier appartient à la seconde catégorie. Conspué, vilipendé pour sa réputée misogynie, sa fascination pour Hitler, son nihilisme, et d’autres motifs, l’ex persona non grata du festival de Cannes a décidé de mettre les bouchées doubles pour son dernier film, The House that Jack Built. Ses admirateurs seront comblés, et ses détracteurs plus outrés encore qu’ils ne pouvaient l’imaginer.


La violence parcourt de long en large les deux heures quarante The House that Jack Built, à travers des massacres tous plus sordides les uns que les autres. Matt Dillon y campe un tueur en série aux actes gratuits, dispensé du répertoire des émotions humaines conventionnelles, dont les principaux défauts sont un toc lié à la propreté, et l’incapacité chronique à achever tout projet d’envergure. Jusqu’au dernier morceau, Jack ne pourra ouvrir une simple porte, ni construire la maison de ses rêves, alors qu’il se caractérise comme « ingénieur architecte ». Ses uniques succès résident dans les meurtres à la chaîne qu’il perpétue, différents grâce à des variations cosmétiques, incapables de prévenir la redondance dans laquelle Lars Von Trier s’empêtre. The House that Jack Built est un film long, un peu ennuyeux, et surtout paresseux. Le mode opératoire change peu, les scènes s’étirent, lascives, suscitant un rire gêné au départ, puis l’indifférence, à peine échaudée par le choc des images. On accusait Lars Von Trier de détester les femmes, il nous les sert sur un plateau, par enfantillage. Plus qu’un film misogyne, The House that Jack Built est un film qui tire la langue, en découpant des seins, en chassant de la femelle, en arrachant le visage d’une autre, en mélangeant ce petit monde de vagins sur pattes en un amalgame de chairs stupides, tout juste bonnes à la rigidité cadavérique.


Les animaux, les enfants, les nazis, le tueur en série constitue un excellent prétexte à braver des tabous supposés consensuels. Agacé, on pourrait rétorquer que « The House of Jack Built », ce n’est pas que cela, c’est aussi des références à la psychanalyse, à l’art, et surtout à La Divine Comédie de Dante. C'est effectivement à cet endroit que Lars Von Trier nous sert des trouvailles originales, en changeant sa caméra, pour un passage dans les enfers qui a des airs d'exploration des égouts, dans une allégorie puissante des tréfonds de l'âme humaine. Si les dialogues entre Jack et Verge constituent les moments les plus intéressants, malgré une fin qui s’y concentre bien trop tard, ils n’enlèvent rien au sentiment d’avoir vu un long métrage de petits bras, qui cède à la facilité d’aligner des références culturelles imposantes, pour les indigents facilement impressionnables. Le goût irrépressible de Lars Von Trier pour la provocation imbriquée dans son époque fatigue, car il rend l'oeuvre périssable dans le temps, là où, tout le monde le sait, il est capable de mieux faire.


Resteront des acteurs dont le talent ne se dément pas, et des essais de forme qui prouvent qu’il reste un cinéaste talentueux, capable d’éviter le patchwork indigeste du mélange des images et des influences.

-Ether
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le 6 juil. 2018

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