La folie et le sang froid d'Ed Gein, chez qui l'on retrouva des abats-jours, des rideaux, des draps et des gants en peau humaine, ou encore le charisme de Ted Bundy, qui en feignant une blessure ou en se faisant passer pour une figure d'autorité, parvînt à intimider puis décapiter ses victimes, à noter surtout des femmes, ou même le double jeu et l'audace du journaliste Jack Unterweger, qui n'hésita pas à interroger les policiers sur les enquêtes des crimes dont il était l'auteur : voilà trois "icônes" des crimes en série qui pourraient avoir influencés Lars Von Trier dans la création du personnage de Jack dans son dernier film The House That Jack Built.


En somme, le film est une chronique sur un serial killer en l'occurrence Jack, aussi connu sous le nom de Mr. Sophistication. Un nom plutôt bien trouvé puisque ce dernier dénature le crime jusqu'à le rendre beau et n'hésite pas à l'élever au statut d'art. Une idée à premier abord inconcevable et atroce mais pourtant défendu par Jack en voix off lors d'une sorte d'entrevue avec un certain Verge. C'est en outre là que résiderait le premier défaut du film : la difficulté que nous avons, spectateurs, à identifier ce protagoniste qui lui parle. Nous pouvons supposer qu'il s'agit d'un psychiatre ou encore d'un pénitencier durant une bonne partie du film. En réalité, l'épilogue nous laisse comprendre que Verge ne serait que le fruit de l'imagination de Jack.


Au travers de tout ce sang versé, que Lars Von Trier ne nous épargne pas de voir, l'axe du film semble résider sur cette réflexion à propos de l'identité de l'art, opposant d'une part la violence et de l'autre l'amour sur la conception du beau. À noter que ce débat philosophique est illustré avec de réelles images d'archives, un mélange de support qui malgré son attractivité, présente des connaissances à brute. L'auto-citation par la mise en revue de ses films semble elle aussi révéler une certaine arrogance du réalisateur, qui encore une fois a pour défaut de nous rappeler notre condition de spectateur et ainsi nous sortir de l'histoire.


Malgré tout, Lars Von Trier possède cette habilité pour jouer avec les émotions du spectateur, en faisant jumeler le cynisme assumé du personnage avec une touche satirique plaisante. Il en devient même impossible de ne pas esquisser un sourire à certains moments, quand bien même où quelques minutes auparavant il nous était presque difficile de regarder la scène. À relever le moment où Jack prétend être sous la protection de Dieu, faisant de lui un complice de son crime et l'aidant à dissimuler par la pluie les traces de sang du cadavre traîné à l'arrière de sa voiture. Ou encore dans le dernier incident lorsque un des otages de Jack lui affirme qu'il ne s'agit pas de la bonne balle pour le type d'expérience, plutôt sordide, qu'il souhaite menée. Jack, qui pourtant ne semble ne rien d'avoir d'humain à nos yeux, est en fait montré sous sa condition d'homme, celui qui peut se tromper et s'induire en erreur.


The House That Jack Built est aussi un film qui prend son temps et qui n'hésite pas à faire durer le malaise du spectateur. La tendance maniaco compulsive de Jack en est un bon prétexte puisqu'il le pousse à aller vérifier à maintes reprises si tout a bien été nettoyer sur la scène de crime, à ses risques périls puisqu'un officier de police finit par se rapprocher de la maison. Le spectateur lui ne peut qu'espérer que cette scène se finisse, que l'on mette fin à son angoisse. La particularité narrative du film réside d'ailleurs dans le fait où chaque incident nous est raconté avant même qu'il ne soit vu à l'écran, renforçant alors notre position de voyeuriste. Le spectateur est complice malgré lui des atrocités dont il a peine à croire et pourtant se reproduiront à l'écran. Il sait déjà avec quel outil et de quelle manière il abattra la famille ; ce qui crée en lui une sorte d'effet crescendo de son anxiété.


Comme vous aurez pu le comprendre, The House That Jack Built est un film qui laisse à réfléchir, notamment sur une fin qui, à premier abord, peut sembler de trop ou peu pertinente dans un récit déjà lourd de sens. Sa structure narrative par le choix de cinq incidents entrevoit le parcours d'un tueur en serie qui sombre de plus en plus dans sa folie et qui, malgré sa cruauté et sa haine envers l'homme, nous surprend par la véracité de ses paroles impudentes. Un film qui se laisserait donc regarder une seconde fois.


"La sauvagerie, force et puissance de l'homme dominé par les passions, [...] peut être adoucie par l'art, dans la mesure où celui-ci représente à l'homme les passions elles-mêmes, les instincts et, en général, l'homme tel qu'il est. Et en se bornant à dérouler le tableau des passions, l'art alors même qu'il les flatte, le fait pour montrer à l'homme ce qu'il est, pour l'en rendre conscient. C'est [...] en cela que consiste son action adoucissante, car il met ainsi l'homme en présence de ses instincts, comme s'ils étaient en dehors de lui, et lui confère de ce fait une certaine liberté à leur égard. Sous ce rapport, on peut dire de l'art qu'il est un libérateur. Les passions perdent leur force, du fait même qu'elles sont devenues objets de représentations, objets tout court. L'objectivation des sentiments a justement pour effet de leur enlever leur intensité et de nous les rendre extérieurs, plus ou moins étrangers. Par son passage dans la représentation, le sentiment sort de l'état de concentration dans lequel il se trouvait en nous et s'offre à notre libre jugement" - Hegel, Esthetique, 1818-1829

EstelleJouandet
8
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le 1 déc. 2018

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