Petite critique à (très) chaud de ce nouvel ovni visuel du controversé Lars Von Trier, qui risque là encore de creuser sa fosse, entre adulation et réelle détestation.

C'est en visionnant un Top 10 des films de l'année passée que je me suis rappelé avoir coché ce film. Faute d'avoir noté toutes mes envies cinématographiques, celui-ci a doucement sombré dans mon vide-mémoire (c'est comme un vide-poche mais en bien plus profond).

Monumentale erreur.

Plusieurs heures après mon premier visionnage, je peine à trouver mes mots pour décrire ce que j'ai vu. Adepte du cinéma qui dérange, La Maison Que Jack Construisit a réussi à lui seul l'exploit de me dire que non, finalement 2018 n'aura pas été une année si pourrie.

La VO est une exigence que je me soustrait à toujours satisfaire. Là, pour l’occasion, même les sous-titres ont été générés automatiquement. Mon ordinateur, quant à lui, bénéficie d'une large cicatrice sur la moitié gauche de l'écran, ce qui certes lui confère un style mauvais garçon (c.f Tommy Flanagan), mais atrophie par ailleurs nettement la motivation à me jeter dans ce cinéma contemplatif et désordonné du réalisateur danois. Le confort n'était donc pas de mise.

Deux heures trente cinq de frissons. Matt Dillon est incroyable, c'est une véritable découverte pour moi. Il sublime l'oeuvre de Lars avec un sens du jeu, une justesse et une présence quasi jamais vue. Il ne cligne pas des yeux, fascine, dérange, obscurcit les traits d'un récit déjà bien sombre. Il mêle Dano à Shannon: un tour de maître.

L'ambiance étasunienne nous place hors du temps. Aucun intérêt de fixer l'histoire dans le temps, le dessein est ailleurs.
En fait, on assiste à un film-docu (dans cet ordre) bâtit sur l'introspection d'un homme qui semble toucher du doigt sa conception de l’Art, en totale conscience.

Sa relation avec Verge - dont on ne connait la fonction qu'une fois la porte franchie - est la voix qui nous balade de tableaux en tableaux. Lent, pesant, son récit est néanmoins limpide, comme pour mieux nous initier au métier de tueur en série.
Car oui, il s'agit bien là d'un métier à temps plein, pas celui de tes parents, ou celui que tu rêvais de faire petit. Un métier car il s'appuie sur une vocation, un chemin qui mène au destin inéluctable du protagoniste. La destinée d'un type qui avance froidement, sans basculer, comme porté par un oracle qui ne se défilera sans doute jamais.

Le temps est une mesure que Lars Von Trier ne prend sciemment pas en compte, du moins pas comme nous le concevons d'ordinaire.
Des symboles, cette oeuvre en est truffée. Il faut parfois savoir où les chercher, parfois nous sont-ils jetés à la gueule, dans le plus pur style Trier : Brut, narcissique et cruel. Mais cette fois je dois bien admettre qu'il a su captiver mon attention.
L'ambiance est acide, glaciale, parfois drôle, voire jouissive à certains égards (la scène du pique-nique est une merveille de cinéma, si crue qu'elle en devient presque grotesque).

Prendre partie d'extraire des particules de documentaires dans son récit, pour mieux expliquer le parcours anti-liturgique d'un homme que rien n'arrête. L'illustrer didactiquement à l'aide d'un plan de réverbère, promenant tantôt vers la joie, tantôt vers le manque, relève selon moi d'un travail journalistique certain. Neutraliser le récit m'a permis de prendre en compte toutes les composantes sans jugement, avec hauteur, les sens en total éveil.
A l'instar de Mindhunter, qui apporte une vision constructive et nouvelle du mode de pensée du serial killer, on assiste là à un récit froid, d'un homme froid, qui vit la vie froide qu'on lui a (quasiment) imposée, avec un mépris de la condition humaine rarement affiché à l’écran. Sentir la mort, la désirer, apprendre à l’accepter. A la limite du gerbant. Donc génial.

Voyez ce film, quoiqu'en a dit l'obsolète public cannois. Ce n'est pas de l'ultra violence, non plus du voyeurisme.

Acceptez qu’il s’agit d’une réflexion globale sur l'Art de la mort, vu par un Homme pour qui l'Art est différent.

Vivre pour tuer. Être tué pour vivre.

Antoine_Mntlt
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le 8 janv. 2019

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Antoine Mntlt

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