Sur 3h30, on suit la vie après-guerre de Frank Sheeran, un homme qui va devenir le garde du corps de Jimmy Hoffa, un syndicaliste ayant des liens avec la Mafia et dont la disparition ne sera jamais résolue...
Martin Scorsese rêvait de faire ce film depuis plus de dix ans, et il aura fallu attendre non seulement que les effets spéciaux permettant de rajeunir les acteurs soient au point, mais aussi que des producteurs assez fous lui donnent suffisamment de crédits pour aller au bout de son ambition. C'est chose faite grâce à Netflix, qui aura financé une bonne partie des 160 millions de dollars, mais une liberté créative totale à son réalisateur. Car il s'agit ni plus ni moins d'une épopée, d'un certain versant de l'Amérique de la seconde moitié du XXe siècle, à travers les yeux de Frank Sheeran, joué par Robert De Niro.
C'est non seulement la 9eme collaboration entre l'acteur et son réalisateur fétiche, mais il y a aussi le grand retour de Joe Pesci, et l'arrivée d'Al Pacino, jouant ce fameux Jimmy Hoffa.
Autant le dire ; The Irishman est un grand film, où non seulement la patte de Scorsese se voit, dès le formidable premier plan, mais dans une forme plus apaisée que Casino ou Les affranchis. On sent que le temps a passé, et ce leitmotiv va constamment revenir dans le film, à travers les visages de ces trois acteurs qu'on connait tant, mais aussi dans l'évolution de la société, Kennedy, Nixon, jusqu'à ce que la mort les sépare.
Je pense que le film marche aussi par rapport à ce qu'on connait de ces trois acteurs, qu'on a connu jeunes, et ça passe bien entendu par cette fameuse technique de rajeunissement numérique, où on les voit de la trentaine, jusqu'à plus de 80 ans pour Frank Sheeran. Contrairement à ce que j'ai lu ça et là, j'ai trouvé ça vraiment bluffant, où on voit le jeu des acteurs rajeunis, où Al Pacino a l'air de revenir de ses rôles dans les années 1990, tout comme Robert De Niro. Il y a même un travail sur leur gestuelle, car le corps n'est plus le même entre 50 et 80 ans, et sur la voix, qui semble parfois un peu plus aigüe.
Le film se passe en trois espace-temps ; Frank Sheeran qui est dans une maison de retraite, celui-ci accompagnant sa fille à son mariage quelques années plus tôt et ses rapports avec Jimmy Hoffa des décennies plus tôt. Il se dégage du film une profonde mélancolie, quelque chose de très touchant sur le temps qui passe, un homme qui se retourne sur sa vie. On sent que l'homme derrière la caméra a une certaine expérience de la vie, du cinéma, et que, s'il y a quelques moments de violence, ils sont ici plus rares et moins sanguinolents.
Les trois acteurs principaux, Robert De Niro, Joe Pesci et Al Pacino sont tout simplement formidables, portant en eux des années de souffrance, des vies marqués par les combats syndicaux pour l'un, la guerre pour l'autre, et Pacino emporte la mise, avec son personnage vociférant des insultes à tout va.
Au rayon des regrets, il est dommage qu'Harvey Keitel soit si peu présent à l'écran, il a deux scènes, et on pourrait dire la même chose d'Anna Paquin, jouant une des filles de Robert De Niro, mais sa courte présence, et son silence lourd de sens, aura un sens par rapport aux activités de son père.
Quant à la musique de Robbie Robertson, qui avait déjà travaillé avec Scorsese sur The last waltz et La couleur de l'argent, elle n'est guère frappante ; on n'a pas même pas un titre des Rolling Stones en fond...
The Irishman est, malgré le fait que ça soit inspiré d'une histoire vraie, un film qui a dû parler à Martin Scorsese sur le temps qui passe, sur l'amitié, et s'il ne travaillait pas à un prochain sujet avec Leonardo Di Caprio et Robert De Niro, j'aurais pu croire que c'était un film testamentaire. Dieu merci, il est encore parmi nous, et rien que pour signer des oeuvres aussi fortes, aussi ambitieuses, libérées de toutes contraintes économiques et commerciales, on a de la chance d'avoir un tel réalisateur !