"Si tu arrive à vivre sans maitre, tu seras le premier homme à réussir"

Etrangement mal aimé depuis sa sortie en salles, The Master est pourtant l'un des films les plus aboutis de Paul Thomas Anderson.
Dés l'ouverture, une atmosphère particulière se met en place: lumière crépusculaire, Freddie (Joaquin Phoenix), revenu de la guerre, est en roue libre. Alcoolique, violent soumis à ses pulsions, ce personnage de photographe est un homme perdu, presque fou. Mais il va rencontrer quelqu'un qui va le changer: le maitre, leader de la cause (Philipp Seymour Hoffman). Manipulateur et charismatique, le maitre fait évidemment penser à un gourou et sa "cause" à la scientologie, qui a pris son essor dans les années 50. La relation qui unit Freddie et son "maitre" devient, au fur et à mesure, bien plus complexe qu'il n'y parait.
Si Freddie a besoin de son gourou, qui donne un sens à sa vie, il en est de même pour le maitre: il a besoin de Freddie, il boit son alcool spécial, le traite réellement en ami. Dés lors, qui est donc le maitre de qui? La relation qu'entretiennent les deux protagonistes tient parfois plus de la dépendance mutuelle que de la manipulation unilatérale. Ils sont tous les deux fous, en quelque sorte, et basent leur existence sur des mensonges et des thèses absurdes auxquelles ils ont fini par croire (le vrai gourou ne doit d'ailleurs-t-il pas finir par se forcer à croire ses propres élucubrations, tant elles sont abracadabrantes?).
Sauf qu'au final, le maitre va permettre involontairement à Freddie de se libérer.
Il lui fixe un point au loin dans le désert et lui dit "va", et donne un but à son disciple. Freddie n'a alors plus besoin de maitre et sait ce qu'il doit faire: le rapport est inversé. Au cours de l'incroyable dialogue final, Philipp Seymour Hoffman demande à Phoenix "Si tu arrives à vivre sans maitre, tu seras le premier homme à réussir". Mais Freddie n'a plus besoin de maitres, plus besoin de dépendre d'un autre: dans sa folie, il est devenu son propre maitre.

Hors de cette trame principale (assez déstructurée et dure à appréhender), le film brasse de nombreuses thématiques, et propose une vraie analyse de système sectaire (thématique semblant cher à PTA: TWBB et Magnolia dépeignaient déjà des personnages mystificateurs et leur disciples ahuris). Il montre aussi l'hypocrisie des milieux intellectuels envers ces personnages charismatiques que sont les gourous, et leur intérêt certain pour leurs thèses exotiques. Enfin, il touche du doigt le traumatisme des anciens combattants et leur manque de repères, incarnés par le personnage de Freddie.
Il serait inutile de parler de la splendeur visuelle du film, tant le moindre plan parle de lui-même. La qualité de la reconstitution historique et des décors est également extraordinaire: le climat des années 50 est parfaitement retranscrit.
The Master est donc un véritable objet de fascination , et le film le plus profond, mais aussi le plus opaque de son réalisateur.
JohnnyBlaze
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2013 et Top 50

Créée

le 11 mars 2014

Critique lue 165 fois

1 j'aime

JohnnyBlaze

Écrit par

Critique lue 165 fois

1

D'autres avis sur The Master

The Master
Heisenberg
9

Complexes deux types

The Master, et c'est l'apanage des grands films tels que je les perçois, cache derrière sa perfection esthétique, sa classe et sa mise en scène d'une précision horlogère, des tournures narratives un...

le 5 déc. 2012

95 j'aime

16

The Master
Anyo
9

Confrontation Mutuelle

Paul Thomas Anderson peaufine son art de film en film. Après la frénésie de ses débuts et de ses films chorales tous impregnés d'une insouciance formelle manifeste, le cinéaste américain semble...

Par

le 9 janv. 2013

88 j'aime

6

The Master
guyness
6

La voie de son maître

Impossible de parler de ce film sans en dissocier absolument la forme souvent somptueuse, du fond pour le moins déroutant, pour ne pas dire abscons. The Master, haute définition La (grande) forme...

le 20 mai 2013

47 j'aime

9

Du même critique

Casse-tête chinois
JohnnyBlaze
1

Infect.

Il n'y a à mon avis que deux situations qui permettent de détester réellement un film: quand on est déçu par ses attentes ou quand on va voir le long-métrage avec une mauvaise appréhension et qu'on...

le 3 janv. 2014

5 j'aime

1

Le Lac des femmes
JohnnyBlaze
10

Antonioni au Japon

Wow... quelle claque. Alors je vais livrer mon ressenti à chaud (avec toutes les erreurs d'appréciation qu'il comporte peut être): ici, Yoshida filme la femme, non pas la femme qu'on désire, mais la...

le 16 juin 2014

4 j'aime