The Phoenician Scheme
Date de sortie : 2025
Découvrir le cinéma de Wes Anderson, c’est un peu comme découvrir une partie cachée du cinéma. Entr’ouvrir une possibilité alternative, d’une toute autre consistance. C’est marier le théâtre au cinéma, et marier le cinéma au théâtre, comme personne d’autre n’a su le faire.
On est dans de l’art et essai, mais avec une maîtrise totale, affirmée, et étoffée. Un art et essai qui est devenu un genre à lui seul. Un genre avec une empreinte unique : un ton, une façon de raconter, de créer des personnages, unique, dont lui seul a le secret — comme un Tim Burton en son temps.
On pourrait se retrouver devant un film de Wes Anderson sans savoir que c’en est un... et le comprendre tout de suite. Chacun de ses films est le fruit d’un travail immense et d’une minutie magique. Que dire d’un artiste qui fait du différent, mais jamais du n’importe quoi ?
Que dire de cet amour pour le cinéma théâtral, de cet amour pour les maquettes, les reconstitutions, et pour ce musée du cinéma ? Que dire d’une personne qui offre une réinvention du théâtre, innovante et nostalgique ? Qui donne un second souffle au théâtre, en l’élargissant au cercle du grand écran ?
Non seulement ce sont souvent des fresques pointilleuses, aux détails exacerbés, mais dans lesquelles s’immisce une âme tout aussi propre au réalisateur que son décor. Dans ses personnages décalés mais profondément humains, dans leurs défauts, leurs faiblesses, leurs amours.
Des personnages qu’on apprend à connaître avec douceur, sur lesquels nos opinions évoluent et se diversifient, se complexifient au fil de la pièce. Des avis, des jugements qu’on doit déconstruire et reconstruire en tant que spectateur — et ce, même pour les personnages secondaires.
Tous ces personnages sont marqués de traits bien distinctifs, farfelus… trop, même. Du moins, avant de faire un bout de voyage avec eux et de ne plus voir que leurs qualités, qui prennent le dessus sur leurs excentricités.
Des personnages marquants, forts, charismatiques, et profondément eux-mêmes. Des personnages qui ont des points communs dans tous ses films : des meneurs, charismatiques mais égoïstes, autour desquels gravitent un nombre de personnes aux différences variées et multiples, tous impactés par les choix de ce héros.
Que ce soit Mr. Fox, Gustave (le maître d'hôtel dans The Grand Budapest Hotel), le scout dans Moonrise Kingdom, etc. — ce sont tous des personnages forts, sûrs de leurs convictions, qui avancent sans vraiment penser aux conséquences. Et qui, peu à peu, se rendent compte de tous ces personnages auxquels ils s’attachent lentement.
Comme une graine semée dans le cœur, qui grandit lentement au fil des déboires. Et cette affection les pousse vers une conscience des conséquences, pour ces êtres qui les entourent, à qui ils vouent des sentiments qu’ils ignoraient encore.
Les emmenant à devoir avancer, à régler leurs situations périlleuses en prenant en compte la vie de cet entourage. Bloquant ainsi leurs buts — qui, finalement, se retrouvent eux aussi mis en cause, sur le bien-fondé de ces désirs égoïstes.
Bien sûr, chaque film a son univers, et des personnages avec des nuances bien plus poussées et variées, en fonction de leur vécu et du milieu où ils se trouvent. Mais dans les grandes lignes, ces personnages ont en commun ce même destin poétique : ils doivent faire face aux conséquences de leurs choix sur leur entourage.
Devoir céder des parties de leurs convictions, de leurs idées, par amour. Car ils prennent conscience que toutes ces personnes, quelles qu’elles soient, sont le plus important. Et toutes ces âmes moins affirmées, différentes, excentriques, discrètes et suiveuses… doucement mais sûrement, leur glissent une vérité, qui va du cœur à l’esprit.
Dans ce film, nous allons une nouvelle fois retrouver ce même personnage, sous les traits du maestro Benicio del Toro. Dans une interprétation charismatique et grandiose. Un acteur souvent en second plan, qui pourtant peut se dresser aux côtés d’un DiCaprio, d’un De Niro, et d’autres.
Si j’ai une seule critique à faire à ce film, c’est son affiche. Comparée à ses autres œuvres, elle est bien fade. Plus fade que ce film coloré d’un éventail riche en personnages, lieux, et sentiments. Elle m’a, lors d’une soirée où la fatigue m’avait envahi, dissuadé d’aller voir le film. Peu attiré par les promesses moroses que semblait vendre cette affiche.
Heureusement, Benicio del Toro sur l’affiche, et mon amour pour le talent de cet acteur, ont tenté de me pousser dans la salle. Juste pour le plaisir de le voir dans un film de Wes Anderson. Et doublement heureusement, ma femme, qui poussait silencieusement et avec une maîtrise fine, m’a emmené voir ce film.
L’écriture et la direction d’acteurs, mêlées au talent de Benicio, donnent encore l’un des personnages les mieux écrits du cinéma. Et ce film, à l’heure des films génériques fades au fond vert, sonne comme une bouffée d’air frais.
Car nous assistons, bien qu’avec un rythme parfois monotone, à un vrai film d’aventures, prenant et plein d’émotions. Avec des protagonistes attachants, aux multiples facettes. Saupoudré d’un humour fin et habile, toujours juste — dans son phrasé ou dans ses situations. Léger, bien amené, mais surtout jamais de mauvais goût.
Tout cela avec une brochette d’acteurs toujours présents pour répondre à l’appel de Wes. Seule Scarlett Johansson dénote avec son univers. Elle se marie mal à son genre, comme si elle n’arrivait pas à s’intégrer comme le reste du casting.
Alors peut-être qu’au fond, Wes s’enferme dans son monde… Et surtout, peut-être tourne-t-il un peu en rond dernièrement, se copiant lui-même. Mais force est de constater qu’il reste le même plaisir à découvrir ses œuvres. Toujours aussi bien composées, toujours aussi bien écrites, et toujours aussi poétiquement pleines de sentiments et de leçons.
Un film à ne rater sous aucun prétexte.