Premier long métrage de la réalisatrice norvégienne Emilie Blichfeldt, The Ugly Stepsister qui s’offre une relecture pour adultes du conte de fées Cendrillon est une véritable petite merveille. Et si le film s’adresse sans contestation à un public adulte, il ne serait pourtant pas idiot de le montrer aux petites filles plutôt que de les gaver encore et toujours dans l’idéal du prince charmant avec lequel on vit heureux, longtemps en faisant beaucoup d’enfants.
The Ugly Stepsister reprend donc la trame de Cendrillon mais décale le récit en faisant d’une des demis sœurs de Cendrillon le personnage principal. Vilain petit canard un peu trop enrobée et moins belle qu’une princesse, Elvira rêve pourtant de conquérir le prince charmant lors d’un grand bal donné au château. Pour se faire elle accepte de souffrir dans son corps et son esprit quitte à s’enlaidir de l’intérieur pour devenir plus belle en façade.
The Ugly Stepsister est un film qui ne souffre de presque aucuns défauts et qui impose déjà, rappelons que c’est un premier film, une patte, un ton et un univers que l’on a envie de très vite retrouver. La jeune réalisateur réussit à merveille à combiner avec une folle cohérence une imagerie parfois un peu kitsch de contes de fées à la Disney avec une vision terriblement cru de l’envers du décor qui vient systématiquement contrebalancer la façade trop lisse de l’apparat. Combinant avec intelligence romantisme et crudité y compris dans les scènes de sexe, imagerie fantasmée du mythe du prince avec la réalité des sentiments, Emilie Blichfeldt est capable de faire naître une merveilleuse poésie d’un instant glauque et macabre comme lorsque Cendrillon voit sa robe reprisée par des vers échappé du corps pourrissant de son père. Et c’est toute cette ambivalence, tout cette dualité, tout ce choc permanent entre l’imagerie légère traditionnel et son funeste versant réaliste qui fait l’une des grandes forces du film. La mise en scène de Emilie Blichfeldt est parfaitement maîtrisée, la photographie est somptueuse, tout le design du film est ultra soigné (costumes, décors, maquillages) et la bande originale est une petite merveille aussi décalée que cohérente. Le film parvient à nous embarquer dès ses premières minutes pour ne plus nous lâcher jusqu’à son épilogue nous faisant constamment naviguer entre noirceur et légèreté, merveilleux et horreur, sourires et émotions, le tout dans un implacable récit. Et puis bien sûr il faut saluer l’excellente prestation de la comédienne Lea Myren dans le rôle de Elvira qui est tout simplement prodigieuse avec ce personnage à la fois détestable et tellement, tellement attachant et touchant. A de nombreuses reprises l’actrice m’a fait penser à Mia Goth dans Pearl et ce n’est pas le plus mince compliment que je puisse lui faire.
Et puis surtout The Ugly Stepsister est diaboliquement intelligent dans ce qu’il dit des injonctions faites aux femmes conditionnées par une société patriarcale à devenir des modèles de filles modèles. Souffrir pour être belle, ce précepte la jeune Elvira va l’endurer dans divers séquences souvent très difficiles qui tiennent plus du torture porn que du tuto beauté… Des scènes chocs qui ne sont pourtant que le reflet des tourments intérieur d’un personnage qui pour se fondre dans les attentes dictées par la société (et précisément l’imagerie des contes à base de princes et princesses) se retrouve capable de se mutiler pour rentrer dans le moule comme on rentre de force dans une pantoufle de vair. A noter que ces injonctions sont aussi le fruit de la propre mère du personnage, monstre cynique et froid prête à tout pour s’élever dans la société et ceci jusqu’à un dernier plan du personnage assez glaçant. Le mythe de l’amour fou et du prince charmant en prend un sérieux coup dans les gencives lorsque Emilie Blichfeldt montre le fameux bal presque comme une foire aux bestiaux où l'on vient chercher une fille à marier le plus souvent par intérêt que par passion faisant passer les femmes de mains en mains dans une sinistre danse permanente. Le merveilleux s'effrite et laisse place à une noirceur abyssale qui passe du merveilleux à la farce gothique, de la surface avenante aux viscères que l’on recrache avec douleurs comme pour se purger d’illusions néfastes.
Gros coup de cœur donc pour The Ugly Stepsister, un grand film aussi séduisant en surface que dans la profondeur et l’intelligence de son propos. Le film est une véritable expérience fascinante qui secoue d’émotions en émotions et qui immanquablement restera gravé dans les esprits.