le 18 mai 2025
Cendrillon version Body Horror
Dans un royaume où la beauté règne en maître, la jeune Elvira doit faire face à une redoutable concurrence pour espérer conquérir le cœur du prince. Parmi les nombreuses prétendantes, se trouve...
Qui est le film ?
Premier long métrage d’Emilie Blichfeldt, The Ugly Stepsister s’empare du conte de Cendrillon pour le moderniser et le retourner à l'aune des codes et obsessions actuelles. Sous ses atours de fable, le film promet un récit d’émancipation contrariée, une plongée dans les blessures que le culte de la beauté inflige aux corps marginalisés.
Que cherche-t-il à dire ?
En choisissant de raconter l’histoire depuis le point de vue d’Elvira, la belle-sœur « laide », le film démonte la mécanique du conte pour montrer ce que sa beauté cache : la violence sociale, la précarité corporelle, la haine de soi comme industrie. La laideur, ici, est une position sociale, un manque de capital esthétique dans un monde qui fait de l’apparence une économie. The Ugly Stepsister ne veut pas sauver le conte ; il veut montrer ce que sa magie dissimule. Là où le conte naturalise la bonté par l’apparence et légitime la richesse comme récompense morale, Blichfeldt montre que la laideur vécue est d’abord une condition matérielle qui impose des moyens pour tenter d’y échapper.
Par quels moyens ?
L’esthétique du film (lumière laiteuse, textures pastel, cadres symétriques) emprunte au merveilleux de Disney pour mieux en pervertir les codes. Sous le vernis pictural, la violence surgit brutalement. Ce contraste constant entre la douceur visuelle générale et la brutalité morale produit une fracture du regard : la beauté de l’image devient l’écran de la cruauté qu’elle dissimule. L’une des audaces formelles est son alliance de douceur visuelle et d’images crues. La beauté n’adoucit pas la cruauté, elle la met en exergue.
Le conte traditionnel opère par effacement (la magie gomme la misère). Ici la magie est esquissée, ironisée : la marraine, la citrouille, les animaux existent mais en périphérie et comme conventions formelles, jamais comme solution plausible. Pour Elvira, il n’y a pas d’intervention surnaturelle salvatrice : il y a des soins rudimentaires, des bricolages, des violences chirurgicales improvisées. Le film inscrit ainsi la « réparation » du corps dans la douleur : la transformation n’est jamais gratuite, elle coûte et elle mutille. La marraine n’est pas garante d’égalité ; la seule « magie » accessible aux pauvres et aux laids est la souffrance.
La figure maternelle d’Ane Dahl Torp incarne une violence différente de celle du patriarcat extérieur : elle est l’agent intérieur qui reproduit la logique de l’assignation. La mère ne protège pas ; elle instrumentalise sa fille pour tenter de grappiller de la valeur sociale. Blichfeldt montre la maternité dévoyée en dispositif d’exploitation : la mère façonne la haine de soi chez l’enfant, la rend complice de son propre effacement.
Les scènes chirurgicales (et surtout leur montage) sont au centre de la politique du film. L’option de ne pas couper la séquence, de prolonger le cadrage sur la douleur et les rires, est une tactique d’énervement éthique. Nous sommes placés en position d’observateur complice et impuissant : la durée montre la banalité de la violence infligée pour se conformer. Le gros plan sur les orteils coupés, le sang qui coule, les asticots qui gigotent, ces images visuelles n’ont pas d’effet « gratuit » d’horreur pour l’horreur.
En réintroduisant l’horreur des Grimm, Blichfeldt ne se contente pas d’exhumer du goût pour le macabre. Elle réenchante la matière primitive du conte pour la lire sociologiquement. L’horreur originelle devient symptôme : quelles conditions sociales rendent possible que des femmes s’auto-mutilent pour une pantoufle ? Le film propose une généalogie de la monstruosité : ce n’est pas la nature des belles-sœurs qui les rend monstrueuses, c’est le mécanisme social qui les réduit à une posture de concurrence pour des ressources symboliques (apparence, mariage, sécurité économique).
Où me situer ?
J’admire la cohérence entre la forme et l'intelligence du propos mais je reste attentif à certaines limites. Parfois l’économie narrative laisse des personnages sous-développés ; parfois l’outrance graphique peut sembler chercher le scandale. Mais ces limites tiennent pour partie à l’audace même du projet : il faut du corps et de l’insistance pour faire entendre la violence structurelle que le conte banalise. Si l’on devait demander davantage, ce serait peut-être une mise en rapport plus explicite des forces économiques qui poussent à l’auto-transformation (offrir, par exemple, quelques clés institutionnelles supplémentaires qui lient chirurgie, esthétique et marché matrimonial).
Quelle lecture en tirer ?
The Ugly Stepsister ne corrige pas Cendrillon, il la déprogramme. Il montre que derrière chaque promesse de beauté se cache une économie de la douleur, et que derrière chaque conte se profile une structure d’exploitation. En somme, le film propose une autre manière de lire nos contes.
Créée
le 6 nov. 2025
Critique lue 14 fois
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