- Que peux-t-offrir Asgard à son nouveau Roi, en retour ?
- Ma vie. Père, je ne puis devenir Roi d’Asgard. Je veux protéger Asgard et tous les royaumes. Je vous le promets solennellement mais je ne puis le faire sur ce trône. Loki, malgré ses graves défaillances le comprenais mieux que je ne pourrais jamais. La brutalité, les sacrifices, nous transforment. Je préfère devenir quelqu’un de bien qu’un grand Roi.
- Même si j’étais fier de l’homme qu’est devenu mon fils, je n’aurais pas le droit de le dire. Il me faut donc laisser parler mon cœur. Va, mon fils.
Asgard en majesté, Malekith en poussière
Thor : Le Monde des ténèbres, réalisé par Alan Taylor, en tant que huitième film du MCU et deuxième film de la phase deux, se présente comme une œuvre ambiguë car elle démarre et avance d’un pas ferme, érigeant une atmosphère riche, une identité mythologique grandiose, un drame épique… pour finalement trébucher brutalement dès qu’elle tente de conclure ce qu’elle avait si bien amorcé. Une structure frustrante, tant 80 % du film frôle l’excellence avant de s’effondrer lamentablement dans une dernière partie marquée par la puérilité, une avalanche d’humour hors contexte et un final aussi fade que maladroit. Et c’est précisément cette fracture qui pose problème, car le film avait tout pour offrir l’un des meilleurs chapitres du MCU, et pourtant… On se retrouve à Svartalfheim, durant un événement cosmique qui se produit environ tous les cinq mille ans avec la Convergence, qui aligne les Neuf Royaumes dans les cieux. On y découvre une scène d'ouverture qui frappe très fort avec la bataille ancestrale entre Bor, père d’Odin, et les Elfes Noirs, à travers une tonalité mythologique qui nous happe instantanément. On y sent la rugosité d’un conflit fondateur, se révélant telle une fresque épique apportant davantage de corps à l'univers d’Asgard. Les Elfes Noirs, guidés par Malekith, apparaissent alors comme des antagonistes redoutables à travers leurs silhouettes spectrales, auxquelles se mêlent technologie étrange et magie noire, n'hésitant pas à sacrifier leur propre peuple pour atteindre leur objectif, à savoir réduire l’univers à l’obscurité primordiale avec l'aide de l’Éther, l'une des six Pierres d'Infinité, appelée la Gemme de la Réalité, et qui sera finalement dérobée par Bor, lequel la cachera aux Elfes Noirs, ces derniers n’ayant plus d’autre solution que de se mettre en hibernation jusqu'au jour où la pierre fera de nouveau appel à eux.
Cette ouverture fonctionne car elle instaure un passé crédible et les bases pour un récit épique qui fait saliver, et que l'on doit au scénario de Christopher Yost, Christopher Markus et Stephen McFeely. On retourne au présent, sur Asgard, après la bataille contre les Chitauris sur Terre durant le film "Avengers" réalisé par Joss Whedon, où Loki, enchaîné, est conduit devant Odin par Thor pour finir par être emprisonné, tandis que Thor, Sif, Fandral, Volstagg et Hogun partent livrer bataille à travers les Neuf Royaumes afin de ramener la paix, après plusieurs révoltes à la suite de la destruction du Bifröst vu dans le film "Thor" réalisé par Kenneth Branagh. Pendant ce temps, Jane Foster découvre et absorbe involontairement l'Éther, devenant ainsi l'hôte de son pouvoir et réveillant au passage les Elfes Noirs. À partir de là, tout ce qui touche à Thor et à l'univers d'Asgard est superbement mis en avant, grâce aux décors riches de Charles Wood, à un gros travail sur les costumes par Wendy Partridge et à la superbe retranscription photographique de Kramer Morgenthau, le tout appuyé par la direction artistique de Julian Ashby, Thomas Brown, Adriaan Engelbrecht, Mark Swain, Ray Chan, Matthew Robinson, Hayley Easton Street, Jordan Crockett et Mike Stallion. En effet, le film brille par sa retranscription plus dense et superbe d’Asgard. On y découvre une belle architecture dorée avec des courbes élégantes, des ponts lumineux, des colonnades monumentales, des salles cérémonielles baignées de lumière, jusqu'aux petits détails comme le livre contenant le récit de la guerre contre les Elfes Noirs, mais aussi toute la verdure et les cascades s'articulant autour, avec de nombreuses statues majestueuses… En bref, la cité n'apparaît pas comme un décor de carte postale numérique, mais comme un lieu vivant, palpable, antique et glorieux. Cela respire la grandeur d’une civilisation divine ayant traversé les millénaires.
Niveau action, on n’est pas en reste avec quelques séquences satisfaisantes, surtout une séquence particulièrement prenante avec l’attaque d’Asgard par les Elfes Noirs, qui est l’un des sommets du film. L’entrée en scène du vaisseau noir déchirant les défenses d’Asgard est d’une intensité visuelle palpable. La séquence avec Heimdall est d’ailleurs un petit bijou, puisque le gardien du Bifröst, avec son œil aiguisé, perçoit l’ennemi et se jette dans le vide pour abattre un vaisseau en plein vol, démontrant à quel point le personnage peut être extraordinaire lorsqu’on lui laisse de l’espace. Cette invasion apporte une tension palpable et dresse les Elfes Noirs comme une force tangible, puisqu’ils font beaucoup de dégâts avec leurs vaisseaux à l'architecture étonnante mais bien trouvée, capables de tout trancher avec une gigantesque lame, tandis que les projectiles fusent sur les dômes de lumière qui prennent forme pour constituer un gigantesque bouclier sur la ville divine. Une attaque qui sera à l'origine d'un grand bouleversement, puisque la mère de Thor et Loki vient à perdre la vie, constituant par ailleurs l’un des moments les plus émouvants du film : la fin d’une reine qui, jusqu’au bout, aura protégé ceux qui lui sont chers. Tout ceci nous conduit à la cérémonie funéraire, qui est tout bonnement splendide. Son corps déposé sur une barge s'envole vers les cieux, les lanternes qui s’envolent à leur tour, l’embrasement final qui explose en une pluie d’étoiles. Visuellement, c’est un poème, et musicalement, c’est une lamentation élégiaque que l’on doit à l'excellente composition de Brian Tyler. Un drame qui, narrativement, va de nouveau souder les deux frères déchirés et ancrer la douleur dans la chair du récit, du moins un temps. Et en cela, le film est très fort dans le drame qu'il met en avant tout du long, sans le noyer dans un humour constant, même si celui-ci reste présent à travers Jane et sa clique, que l’on voit bien trop alors qu’ils n'apportent pas grand-chose.
- J'aimerais avoir foi en toi.
- Aie foi en ma colère.
C'est comme ça que Thor finit par libérer Loki de sa cellule pour obtenir son aide, offrant au film une énergie nouvelle à travers un duo très efficace. Quelques touches d’humour, mais jamais envahissantes entre les deux, parfaites pour le dieu de la malice, comme le moment où Loki se transforme en Steve Rogers pour se moquer de lui.
« Oh! Je me sens beaucoup mieux!!Le costume est un peu chargé et tellement serré, mais quelle assurance. Je me sens devenir le défenseur de la justice !!! Eh tu veux qu'on ai une discussion viril sur la vérité ? L'honneur ? Le patriotisme ? Dieu bénisse la paix ! »
Une dynamique fraternelle faite de piques et de respect dissimulé, qui fonctionne bien à l'écran. Ils offrent des moments de bravoure authentique qui démontrent leur loyauté réciproque, notamment durant le combat contre le puissant Kurse, qui, à ce moment du MCU, est sans aucun doute l'être le plus puissant, capable de terrasser sans trop de difficulté Thor. Kurse, qui n'est autre qu’Algrim, lieutenant de Malekith, accepte de tout perdre pour devenir une espèce de super-soldat elfe noir créé à partir des ténèbres pures, lorsque Malekith le poignarde à l'estomac avec la Dague de Matière Noire pour insérer la dernière Pierre Kurse.
« – Tu seras le dernier des Kurses.
– Que ma vie soit sacrifiée. Comme le fut celle de notre peuple. Ou la vôtre.
– Tu deviendras ténèbres, condamné à cette existence jusqu'à ce qu'elle te consume. »
Kurse est un antagoniste étonnamment oublié, certainement à cause du traitement d'Alan Taylor, qui essaye de le réduire pour ne pas faire trop d'ombre à Malekith « c'est loupé ! » en le transformant en monstre des ténèbres capable de mettre Thor en difficulté comme rarement. Il sera à l'origine d'une « fin » glorieuse pour Loki, qui va se sacrifier pour tuer Kurse et, par la même occasion, sauver son frère.
« - Je dirais à père ce que tu as fait aujourd'hui.
- Ce n'est pas pour lui que je l'ai fait. »
Une perspective offrant une nouvelle fois une belle scène dramatique où l’on croit sincèrement, à ce moment-là, à ce qu'il ressent pour son frère, mais aussi à la mort du dieu de la malice. Jusque-là, tout semble converger vers un grand film du MCU. Et puis…
C’est à partir de là que Thor 2 bascule dans l’incompréhensible. Comme si l’œuvre changeait brutalement de scénaristes, de réalisateur et d’ambition. L’humour devient omniprésent, désarmant et maladroit. On passe d’une épopée mythologique à une comédie totale bancale, où même Thor semble ne plus rien prendre au sérieux. Je ne comprends pas ce choix scénaristique. Du coup, en plein combat, on peut voir Thor prendre le métro, « que c’est rigolo » ; Thor rentrer dans une petite voiture, serré à l’intérieur comme une sardine, « hahahah, je me marre ! » ; ou encore, pour la bonne forme, accrocher son marteau mythique Mjöllnir à un porte-manteau, « j’en peux plus, c’est trop drôle »… Et tout cela alors que, juste avant, on a eu droit à la mort de la mère de Thor, et à la chute d’Asgard. Pas mieux comme choix pour flinguer l’ambiance générale dramatique et les enjeux. En bref, de l’humour, encore de l’humour. On peut y voir les balbutiements de ce que deviendra cette franchise. Malekith, pourtant annoncé comme une force de chaos ancestrale, devient, une fois en possession de la pierre, un antagoniste encore plus mou, sans aura, et sa menace se réduit à peu de chose. Son charisme s’évapore, et la mise en scène ne l’aide jamais à devenir terrifiant. Un personnage finalement osef, et c’est bien dommage, car il aurait mérité mieux. Le duel final entre Thor et Malekith est médiocre, mal filmé et sans réel impact. Un combat brouillon, visuellement peu inspiré, qui se permet même un usage de deux javelots bricolés, sans le génie de MacGyver, comme solution ultime. Comme si l’univers avait été réduit à un gag de bricoleur du dimanche. À cela, on cale encore un peu d’humour en offrant un baiser amoureux en pleine bataille entre deux personnages anecdotiques qui n’avaient rien à faire là. En bref, on termine le film avec un sentiment amer, celui d’un potentiel immense gâché par un final bâclé, puéril, manquant totalement de respect pour la grandeur promise tout du long. On pourra au moins se raccrocher au discours final entre Thor et son père Odin, qui n’est nul autre que Loki, offrant un échange honnête entre les deux hommes et une belle conclusion.
Côté casting, Chris Hemsworth incarne de nouveau Thor, et j'aime beaucoup l'évolution du personnage, qui est bien moins arrogant et n'est plus à la recherche du pouvoir. Il est davantage réfléchi et porte mieux le poids de ses responsabilités, du moins jusqu’au final. Par contre, rien à faire, même si cette fois-ci le personnage de Jane Foster, incarné par Natalie Portman, passe mieux à mes yeux, j'ai toujours autant de mal à croire à ce couple. Je ne les trouve à aucun moment fusionnels. Pour aller avec Thor, la comédienne Jaimie Alexander, pour Sif, aurait été un bien meilleur choix. Tom Hiddleston, pour Loki, est toujours aussi formidable. Il est même, à mon sens, une fois encore le cœur dramatique du récit. Déchu, emprisonné, brisé, il dévoile davantage son trauma filial, celui d’un fils qui s’est toujours senti de trop, placé à l’ombre d’un frère flamboyant et d’un père qui, malgré son affection, ne parvient jamais à l’aimer vraiment comme il le désirerait. Mais c’est surtout sa relation avec Frigga, incarnée par l'excellente Rene Russo, qui éclaire son âme. On comprend enfin que ses pouvoirs, son art de l’illusion, sa sensibilité même, lui viennent d’elle. Et cette transmission maternelle donne au personnage une profondeur nouvelle, une blessure intime qui rend sa froide arrogance poignante. Anthony Hopkins, pour Odin, est toujours aussi convaincant. Idris Elba, pour Heimdall, reste tout aussi charismatique, et c'est cool de le voir se lâcher un peu en tant que gardien. Stellan Skarsgård, pour le Dr Erik Selvig, revient, et j'avoue que, bien que j'aime ce personnage, je n’ai pas compris ce que l'on a fait de lui dans ce film : un taré en slip. Christopher Eccleston, pour Malekith, n'est pas un mauvais choix, car le problème ne vient pas de son interprétation mais plutôt de l'écriture de son personnage, qui est vraiment oubliable. Ce n'est pas le pire antagoniste du MCU, mais c'est assurément l'un des plus oubliables. Même Algrim, alias Kurse, incarné par Adewale Akinnuoye-Agbaje, laisse une meilleure impression que lui. Enfin, la comédienne Kat Dennings est mignonne comme tout en tant que Darcy Lewis, mais son personnage est totalement inutile et n'aurait jamais dû apparaître dans cette suite, au même titre que son assistant Ian, incarné par Jonathan Howard.
CONCLUSION :
Thor : Le Monde des ténèbres, réalisé par Alan Taylor, possède deux visages. Un premier visage de qualité, à travers la mythologie, le drame et l'épique, qui sont superbement construits. Un second visage de médiocrité, à travers un contraste puéril, dépourvu de tension et déconnecté de tout ce que le film avait construit avec réussite. Un film qui frôle la grandeur avant de s’effondrer dans l’inconsistance. L’un des plus grands gâchis du MCU.
De l’épopée à la mauvaise pantalonnade.
Critique également disponible en vidéo sur youtube : https://www.youtube.com/watch?v=AtAtxexTtcg
- Votre frère ne vient pas ?
- Loki a été tué.
- Oh grâce au ciel !… Je veux dire… toute mes condoléances.