Together
6.4
Together

Film de Michael Shanks (2025)

Nos promesses de « toujours ensemble »

Qui est le film ?
Together est le premier long métrage de Michael Shanks. Le film a circulé dans les sections de minuit de festivals comme Sundance, avant d’obtenir une sortie plus large. Il met en scène Dave Franco et Alison Brie, couple à l’écran comme à la ville, dans une œuvre qui se situe à la croisée du drame romantique, de la comédie noire et du body horror. En surface, Together raconte l’histoire de deux amoureux qui découvrent qu’ils ne peuvent littéralement pas vivre séparés : leur corps se décompose, se contamine, se métamorphose. Mais très vite, la promesse de départ se déploie en une réflexion plus ample : qu’est-ce que cela signifie d’aimer, quand aimer revient à céder son autonomie la plus intime ?

Que cherche-t-il à dire ?
Ce que propose Shanks est radical : il prend au pied de la lettre la métaphore de la co-dépendance amoureuse. Là où la comédie romantique suggère par ellipses et symboles la difficulté de respirer sans l’autre, il matérialise cette dépendance dans la chair même. La vulnérabilité devient contagion, la séparation impossibilité physique. En forçant ainsi le spectateur à traverser le dégoût, le film interroge le cœur des relations affectives : le soin est-il un geste d’amour ou une forme de contrôle ? La fusion, horizon fantasmé du couple, est-elle l’ultime tendresse ou la négation de l’altérité ?

Par quels moyens ?
Le film ne réduit pas l’expérience à une intimité psychologique : il invente une légende, une secete, une grotte, une source, des gestes répétés. Le couple n’est pas seul, il est pris dans un dispositif qui ressemble à une secte ou à une liturgie : boire, souffrir, répéter. Derrière la fantaisie horrifique, c’est la normalisation sociale du couple (mariage, fusion idéale, fidélité) qui se donne à voir.

L’ambiguïté éthique du film se joue dans les gestes les plus simples. La fusion apparaît parfois comme une solution romantique mais révèle son envers : posséder l’autre, jusqu’à lui dénier toute autonomie. Le climax, loin d’une réconciliation, fonctionne comme un test moral pour le spectateur.

L’horreur du film passe par une matérialité tactile : gros plans sur la salive, membranes, chairs qui se collent. Shanks privilégie les effets pratiques, hérités du cinéma de Cronenberg ou de Carpenter, et crée un inconfort sensoriel qui empêche la distanciation. Là où d’autres drames passeraient par des dialogues ou des silences, Shanks impose une expérience sensorielle : impossible de dire « je » sans porter la trace de l’autre.

La présence d’Alison Brie et Dave Franco, couple réel, agit comme un ressort supplémentaire. Leur complicité, connue du spectateur, rend la fusion encore plus troublante. On lit sur leurs visages la sincérité d’une intimité authentique, aussitôt retournée en cauchemar. Cette strate méta brouille la frontière entre jeu et réalité, et renforce la perturbation.

Together circule entre comédie noire, horreur et fable. L’humour désamorce puis relance la peur, créant une oscillation permanente entre rire et malaise. Cette instabilité n’est pas un défaut mais une stratégie : elle empêche la lecture univoque, obligeant le spectateur à considérer à la fois la fable littérale (ils fusionnent) et l’allégorie (ils incarnent nos dépendances affectives).

Où me situer ?
J’admire chez Shanks son audace : faire passer la métaphore amoureuse par la chair, ne pas reculer devant le grotesque ni la gêne. Le film ose une frontalité que peu de drames osent aujourd’hui. Mais je reste partagé : la puissance de son dispositif symbolique laisse parfois les personnages en retrait, réduits à des figures conceptuelles plus qu’à des êtres complexes. Tout ce qui concerne la secte, son gouru et la grotte me paraît également totalement superflu, ne rajoutant aucune strate de lecture et diluant le propos.

Quelle lecture en tirer ?
En rendant littérale la fusion amoureuse, Together met le spectateur face à une question inévitable : que perd-on, que sacrifie-t-on au nom de l’amour ? Shanks ne condamne ni n’exalte la fusion : il la montre, brutale, fascinante, terrifiante. Le film oblige alors à reconsidérer nos propres rituels : nos mariages, nos idéaux d’unité, nos promesses de « toujours ensemble ». Peut-être qu’aimer, suggère-t-il, ce n’est pas vouloir se fondre, mais accepter de rester deux.

cadreum
7
Écrit par

Créée

le 1 sept. 2025

Critique lue 22 fois

6 j'aime

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