Dans de nombreux articles critiques, Tom à la ferme a été classé dans la catégorie des thrillers. D’après André Roy dans son Dictionnaire général du cinéma, est un thriller « tout film créant des émotions fortes par le suspense et/ou le mystère. Le thriller peut désigner un film d’aventure, un film d’espionnage, un film policier, un film catastrophe, un film d’horreur ou un film de science-fiction ». En me fiant à ma propre subjectivité et à cette définition basique (seulement la première partie), j’aurais tendance à approuver. Le film est doté d’un suspense très bien mené qui m’a effectivement fait ressentir des émotions fortes.

Pour ce qui est du mystère, il convient de se pencher plus précisément sur les personnages et leurs relations. Les liens qui se tissent entre Tom et Francis (le frère du défunt) sont d’une ambiguïté et d’une violence passionnelle telle que l’effet de mystère est totalement réussi. Pendant tout le film, on se demande si Francis va tuer Tom, ou s’il va l’embrasser. La scène de la poursuite et de la bagarre dans les champs de maïs constitue pour le spectateur l’apogée de l’angoisse qui se dégage de cette tension destructrice entre les deux personnages. La construction et le développement de cette relation est à mon sens le point fort de ce film. D’un côté Tom, abasourdi par la mort de son compagnon Guillaume, qui vient s’oublier complètement dans cette ferme reculée au fin fond du Québec. De l’autre Francis, frère de Guillaume, en proie à d’intenses accès de violence, coincé dans sa ferme familiale. A la fois tout et rien ne les unit. Rien au sens où ils ne semblent ne rien avoir en commun : un citadin gay, un campagnard virilissime. Tout au sens où tout les rapproche : Guillaume, et leur solitude respective. Ce que Dolan arrive à exprimer à travers ce couple de personnage est vraiment très fort, d’une grande profondeur. Tellement fort que la relation Francis/Tom en deviendrait insupportable si elle n’était pas tempérée par la présence d’Agathe, la mère de Francis et du défunt interprétée par Lise Roy. Ce personnage est capital car il permet d’atténuer la tension propre à la relation des deux protagonistes lorsque c’est nécessaire. Agathe permet au spectateur de reprendre son souffle. Attention, cela ne signifie pas qu’Agathe est en elle-même un personnage sain d’esprit et tempéré, bien au contraire. Il serait aisé de croire qu’elle est à la limite de sombrer dans un début de folie. Mais il n’empêche que la présence de ce troisième personnage vient contrebalancer le poids colossal de la relation Francis/Tom.

Pour ce qui est du scénario, bien que la construction de la relation entre les deux protagonistes soit très bonne aussi bien au plan temporel qu’émotionnel, j’ai eu plus de mal avec la fin du film. Je ne pense pas pouvoir m’en prendre à Dolan directement, puisque le film est adapté de la pièce éponyme de Michel Marc Bouchard, mais j’ai jugé cette dernière décevante. Disons trop rocambolesque, trop de hasard délibéré de la part du scénariste/auteur. Réussir à s’échapper avec la voiture, puis croiser le balafré à la station-service, c’est too much.

Il n’est pas possible de terminer une critique sur un film de Dolan sans aborder la question de l’esthétique et de sa manière de filmer. Au niveau des techniques de caméra, il a été plutôt égal à lui-même. Rien de totalement innovant par rapport à ses trois films précédents mais ça reste très bon. Beaucoup de gros plans sur le visage de Tom par contre. Vraiment beaucoup, sûrement trop. D’autant plus que ces plans ne sont pas toujours nécessaires donc Dolan passe plus pour un mec qui s’aime plutôt qu’un réalisateur qui se veut réaliste et au plus près de ses personnages. Il y a néanmoins un coup de génie réalisé avec cette caméra dans le film : ce sont les deux premières scènes de Francis. La première dans le noir, et la deuxième sans qu’on voit son visage. Pendant un dixième de seconde, je me suis même demandé si on allait voir au moins une fois son visage entier dans le film. Cette manière d’aborder le personnage à la caméra pose directement et très subtilement les enjeux de son rôle et de son caractère.

Au niveau de l’esthétisme, j’ai été déçue. Je n’ai pas du tout retrouvé un esthétisme poussé à la sauce des Amours Imaginaires ou de Laurence Anyways. Alors je reconnais tout à fait que l’environnement fermier du film est bien moins propice à ce type d’esthétisme, mais quand même, de la part de Dolan je m’attendais à « mieux ».
Enfin dernier point, la BO. C’est probablement ce qui m’a le plus déçue. J’avais souvenir de Moderat sur l’île aux Noires, de The Knife dans la forêt, mais là, aucune chanson ne m’a frappé. « pleurs dans la pluie », chanson diffusée pendant les funérailles ne m’a rien évoqué à part un profond malaise. Lorsque Tom et Francis dansent un tango au son de Gotan Project, le choix musical était très, voire trop prévisible. Certes il est incontestable que ce choix se prête à merveille à la scène, mais ce n’était pas surprenant. Dolan a révélé dans une interview qu’a priori, il n’y aurait pas dû avoir de musique dans ce film pour laisser place à une tension supérieure. Je suis d’avis qu’il aurait mieux fait de ne pas revenir sur cette décision …

PS : Impossible pour ma part de m’habituer à cette perruque blonde de Dolan, même après environ 1h40 de gros plans sur sa tête.

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le 21 avr. 2014

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Enimsayy

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