Depuis Black Book, en 2006, Paul Verhoeven n'a plus réalisé un seul film, faute de trouver des financements pour ses projets. Alors, il a crée une expérience originale, Entertainment Experience, qui consiste à ce que les internautes créent l'histoire qu'ils voudraient voir à l'écran, à partir de quelques pages de départ proposées par une actrice, Kim van Kooten. Pour ce format très particulier, Verhoeven s'est associé à une société de production hollandaise qui a accepté le jeu. Si le casting est voulu par le réalisateur, le scénario a été guidé en grande partie par l'envoi de scripts des internautes sur la direction à donner à l'histoire. Ceux-ci ont eu leur mot à dire sur la musique.
Dans un sens, on pourrait rapprocher cette mise en place du crowdsourcing, à savoir que ce sont les autres qui donnent la matière à une personne en échange d'une rétribution (des remerciements nominatifs dans les crédits de fin). Verhoeven a voulu tester cette forme inédite de faire du cinéma, car il aimait ce plongeon dans l'inconnu et ne pas vraiment savoir ce que les internautes réserveraient à ses personnages.
Pour parler du film, il s'agit d'une histoire au fond très soft, et très éloigné du Verhoeven d'antan. Un homme va voir arriver à sa soirée d'anniversaire une de ses maitresses, enceinte, et dans le même temps, ses associés vont faire pression pour qu'il cède ses parts de son entreprise grâce à un chantage concernant cette femme.
Bien sûr, on retrouve ça et là quelques réminiscences du cinéma de Verhoeven, notamment quelques poitrines, ou une paire de ciseaux qui rappelle Le quatrième homme, mais la flamme n'y est clairement pas. En tout cas, c'est beaucoup moins sulfureux que la bande-annonce le laissait présager.
Les acteurs ne sont pas très bons, à part une jeune femme brune (désolé, le hollandais et moi, ça fait deux), qui est une des maitresses de l'homme, dont la perversité rappelle un chouia la Catherine Tramell de Basic Instinct.
Par contre, et c'est très rare pour Verhoeven, le film a été entièrement tourné caméra à l'épaule, et cela donne une mise en scène plutôt dynamique, pas brouillonne en tout cas.
Il n'empêche qu'au sortir du film, la déception est grande. A qui jeter la pierre ; sur Paul Verhoeven, qui n'a pas imprimé sa patte dans l'histoire ? Sur les internautes, qui ont donné de mauvaises idées, du moins celles qui furent les plus convenues ? Difficile à dire, mais si je n'aurais pas eu connaissance de l'origine du projet, j'aurais sans doute été plus consterné du résultat.
Pour revenir sur le projet, le film dure 85 minutes. Mais attention ; il est en deux parties, si j'ose dire. Tricked dure 50 minutes, et il y a un documentaire de 35 minutes qui englobe les origines du projet, le tournage, ainsi que la première aux Pays-Bas. Paul Verhoeven avoue tout de même dans ce docu avoir été déçu du résultat final, y compris par ses acteurs. Il pointe du doigt les internautes en déclamant que sur les scripts que la production recevait, aucun d'entre eux n'était digne d'être tourné pour un "vrai" film. Où l'on apprend que pas loin de 35 000 (!) personnes ont participé au scénario (soit par des scripts, soit par des idées, ou des scènes).
Quant au titre de ma critique, il s'agit du nom que Verhoeven donne à Tricked, d'une part en hommage à Fellini, d'autre part, parce qu'il ne le considère pas comme étant vraiment dans sa filmographie. Et si 8 1/2 fut un projet personnel au réalisateur italien, ce fut aussi le cas pour le hollandais concernant Tricked, mais nous n'en saurons pas plus...