J’ai par habitude quand j’ai vu un film, de prendre dans la foulée des notes en vrac. Au mieux cela donne un article, au pire les pages d’écriture gribouillées viennent s’entasser avec d’autres dans un dossier. C’est en faisant quelque classement, que je suis retombé sur les notes de Twixt de Coppola. Pour dire je ne me souvenais même plus de l’avoir vu… Cela arrive parfois. Plus probablement, mon caractère sectaire et quelque peu rancunier, a fait à l’époque que j’ai pris en grippe cet immense réalisateur à cause de la déception sévère subie avec « L’homme sans âge » et n’ai laissé, de fait aucune chance à ce qui était le suivant pour moi (« Tetro » étant sorti entre les deux). Je l’ai donc « revu » hier soir !


« Twixt » est sans doute le film qui a du déstabiliser le plus son public et le public. Un nouveau un film sur les vampires laissait peu à craindre depuis sa sublime version du chef d’œuvre de Stoker, « Dracula ». D’autant plus que celui-ci semble plus intimiste au regard de la bande-annonce, matière à développer une autre vision.


C’est peu dire. On ne peut pas à proprement parler de « vision », mais carrément de dimension, et pas seulement au niveau des effets spéciaux. Plastiquement remarquable, le film bascule entre jour et nuit sur deux formes visuelles très contrastées. Au début, l’effet de surprise est tel qu’il faut s’y adapter. En diurne, un ensemble plutôt terne (lumière falote + cadrages classiques fifties) on passe en nocturne à l’artifice, à une irréalité marquée de ses effets spéciaux format numérique. On peut y voir un référentiel entre un savoir faire d’hier complexe à traiter (split screen, gros plans, bidouillage de décors, jeux d’ombres et de lumière, jeux d’acteurs accentué…) et celui d’aujourd’hui quasi sans défaut dans son approche technique (tout est possible à retranscrire jusqu’à la chute un peu lourdaude d’une étoile filante). Ce mélange de genres peut agacer.


Une irritation qui peut s’accentuer si l’on prend au premier degré ce scénario pour le moins alambiqué (mythe du vampire, serial killer…) mais au fond assez simpliste, à la limite des productions la Hammer FP en fin de vie. On y retrouve presque tous les clichés (ville maudite, habitants plus inquiétants que les défunts, morgue…). Et si l’on s’appuie sur le récit de Dracula qui nous occupe, Coppola respecte la hiérarchie des protagonistes : Hall Baltimore en Van Helsing, Virginia en Mina, Bobby la Grange en Renfield… à l’exception du « monstre ». A l’image de la statue du chien cerbère qui garde l’église et dont une patte est cassée, le mythe est tronqué. Coppola brouille les pistes…


Le propos est ailleurs, beaucoup plus complexe. Il faut y voir une seconde lecture nettement plus symbolique. « Twixt » n’étant plus seulement un « petit » film de vampire, mais bel et bien une parabole sur le temps qui passe et de cette frayeur commune à tout humain de perdre la jeunesse, l’autonomie et pour l’artiste son inspiration. Nous sommes ici à l’antipode de « L’homme sans âge », il est impossible de revenir en arrière, juste contrarier le temps.


Il faudra alors pour Hall Baltimore (Val Kilmer est grandiose !) le romancier essoufflé retrouver les moyens de se battre et vivre hors les paradis artificiels, sources d’inspirations trompeuses. Mener un combat à la vie plutôt qu’à la mort. Dans cette espèce de voyage aux enfers ou réalité (sa femme, son éditeur, le deuil…) se mêle à sa fiction (Virginia, son guide Edgar Allan Poe…) le fera renaître ou se renier. « Twixt » est une réflexion très personnelle d’un artiste, pourtant mondialement connu et adulé, qui doute et qui malgré le temps a encore énormément à produire, à créer. Hall Baltimore est une espèce de double qui n’appartient pas au réel, simplement à la représentation qu’il s’est faite de lui-même.


Et les nombreux artifices du film, savamment utilisés, n’en sont que plus remarquables, notamment le clocher à 7 cadrans. Quand on sait que le chiffre 7 symbolise la totalité de l’espace et du temps, que pour les égyptiens, qu’il correspond à la vie éternelle, que sa représentation graphique n’est pas sans rappeler la faux, donc la mort et que tout ceci soit associé au temps… 7 horloges mais dont une sonne le retard de « encore une heure »… Le rouge incrusté dans le gris bleuté des nuits écoulées (vitraux, flamme, tapis…) associé au sang dans l’imaginaire mais aussi à la passion, rappelle bien que la vie est là si l’on sait la retenir.


Et si « l’on ne peut pas changer le temps qui passe car c’est lui qui vous change », il faut s’adapter, lutter, avancer. Le combat est difficile mais bien vivre ne l’est-il pas tout autant ? Ce thème est redondant dans la filmographie du réalisateur, déjà avec l’un de ses premiers films « Les gens de la pluie », « Rusty James » ou encore « Peggy Sue s’est mariée ». Tous trois baignés de surnaturel.
Quelque soit l’option derrière le spectateur se rangera, il devrait prendre du plaisir. Que ce soit en simple film « d’horreur », l’atmosphère qui y est crée est suffisamment appréciable et ludique. Ou bien en réflexion philosophique qui le pousse à réfléchir également sur lui-même, « Twixt » est un film à découvrir sous toutes ses facettes.

Fritz_Langueur
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le 9 juil. 2017

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