Libre de toute contrainte financière, Francis Ford Coppola nous offre avec L’homme sans âge, Tetro et Twixt des opus d’une extraordinaire sagesse, d’une grande simplicité et d’une honnêteté sans pareille. Et Twixt se révèle à mon avis être son film le plus abouti dans le nouveau dogme qui semble animer la pulsion créatrice du maître. Libéré des contraintes de rentabilité par ses activités de vigneron et d’hôtelier, Coppola ramène son cinéma à l’essentiel, loin de la grandiloquence des années passées.

Certains trouveront le film bon marché, austère, certains oseront même dire qu’il est mal tourné. En 2012 on est habitué à voir des effets d’esbroufe partout. On est formaté pour voir des effets tapageurs et hors de prix, surtout quand on va voir “un film de vampire” ! C’est oublier (et pour nombre d’entre eux, carrément ne pas connaître) que les mythes fantastiques les plus épiques furent portés à l’écran par les expressionnistes allemands avant les années trente, et que plus tard Carpenter n’a jamais eu besoin d’effets compliqués pour nous raconter les histoires les plus angoissantes. C’est exactement comme en musique quand on fait écouter du Robert Johnson à quelqu’un, et qu’il le repousse en disant “ce mec en sait pas jouer!” sans y reconnaître les thèmes fondateurs de toute la musique moderne.

Coppola revient aux sources, c’est un fait avéré. Il renoue avec l’histoire pure, sans détour, la substantifique moelle. En se fichant complètement de l’air du temps, il accède enfin à la sagesse, à l’état de grâce. On savait qu’il était brillant, on sait aujourd’hui qu’il est un artiste dévoué et accompli, un esthète au service du cinéma en tant qu’art majeur, avec la volonté d’aller plus loin que le seul “entertainment”, plus loin que la seule “peinture psycho-sociologique” : deux penchants actuels regrettables selon lui, notamment aux Etats-Unis et en France, influencés que sont les auteurs de plaire aux financeurs.

C’est justement cette simplicité qui fait aimer L’homme sans âge, Tetro et surtout Twixt. Dans ce dernier, c’est toute la beauté romantique qui s’exprime à travers l’image diaphane. Entre les mains de l’artisan d’art, cette matière brut et glacée se transforme en or. Dans ce contexte, pourquoi alors faire ce plan décadré du beffroi ? Pourquoi ces effets kitch sur la falaise ou en moto ? Parce que cela participe à la poétique du tout, parce qu’il fait ici référence à des chefs d’oeuvre éternels bien plus finement qu’un The Artist. J’ose dire que ceux qui trouveront ces séquences ratées ne comprennent rien à Coppola et, peut-être pire : au cinéma en tant qu’expression artistique. Le film foisonne de trouvailles de mise en scène brillantes, comme la séquence où Hall Baltimore (interprété par Val Kilmer) se met à écrire les premières lignes de son roman, ou l’étrange beauté de la première apparition de Virginia (Elle Fanning), comme si elle jouait entre les arbres d’un tableau de Magritte.

Dans ces trois films, c’est l’histoire personnelle de Coppola qui est transposée dans un jeu de ponts complexe entre mondes parallèles : la mort de son fils Gian Carlo, la traversée du désert artistique, sa fascination pour la littérature, une prise de conscience aiguë du temps qui passe, et surtout du temps qui reste. De ces trois merveilleux films, le plus émouvant et le plus réussi reste Twixt. Personnel, déroutant (surtout pour ceux qui s’attendaient à du gothique à la Burton) et beau, superbe même, intérieur et puissant. On est proche de Poe, bien sûr (fantôme interprété par Ben Chaplin) mais aussi de Charles Baudelaire.

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le 17 déc. 2013

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