Une fois par décennie, peut-être plus quand c’est dans l’ère du temps, Hollywood nous gratifie du fleuron de sa production, son Graal des nanars. A chaque fois, il s’agit de créer un concours de caractéristiques absolument improbables pour parvenir à ses fins : scénario, casting, metteur en scène, alignement des planètes… D’autant plus que, soyons bien sûr d’une chose : presque rien n’a de valeur absolue à Hollywood, les outils de qualités sont régulièrement détournés à des fins plus que douteuses. Un amour d’hiver se pose-t-il donc comme le Graal de notre modernité ? C’est fort possible, car une chose reste certaine : la concurrence aura du mal à faire mieux.

Le film s’ouvre par un prologue contemporain mettant en scène un Colin Farrell esseulé, s’étant vraisemblablement disputé avec son coiffeur. D’ores et déjà, on sent la dérive artistique se prononcer. L’essentiel d’Un amour d’hiver décrit une romance du début du XXème siècle entre ce même Farrell et la belle Jessica Brown Findlay. L’un est un voleur, l’autre est une aristocrate. Oh, romance impossible ! Par chance, le film élude finalement rapidement ce cliché pour nous proposer quelque chose d’encore plus improbable : une histoire d’amour sur fond de lutte entre le Bien et le Mal. Oui, avec des majuscules, à base d’anges et de démons.

Dans la team démons, on retrouve un Russell Crowe en roue libre comme on l’a rarement connu, fort de mimiques de bad-guy qui feraient passer le surjeu d’un DeNiro de ces dernières années pour de l’amateurisme. On pense aussi au Nicolas Cage des grands jours aperçu dans Ghost Rider. Rapidement, le ton est donné : Russell Crowe est méchant. Pire ; c’est un envoyé du Diable. Le paroxysme est atteint lors d’une rencontre avec Lucifer himself, le film bascule définitivement vers le nanar. Ceux qui tiennent absolument à l’effet de surprise peuvent toutefois passer au paragraphe suivant, car c’est trop ultime pour ne point en parler. Fort de sa grosse voix caverneuse, tapis dans l’ombre, Lucifer (ou Lu’, comme Russell Crowe semble sympathiquement l’appeler) nous apparait. Là, c’est la révélation. T-shirt fashion, diams aux oreilles (comme c’était par ailleurs la mode dans les années 1910 !) et classe au sommet : c’est bien Will Smith, au sommet de sa médiocrité. On tente de contenir l’éclat de rire qui cherche à se manifester. D’autant plus que tout malentendu est écarté : Un amour d’hiver n’est pas second degré.

D’autant plus que, entendons-nous bien sur une chose : séparons naïveté de niaiseries. La naïveté au cinéma, dans son sens noble, c’est une relation établie entre l’auteur du film et son spectateur, qui évacue éventuellement la subtilité au profit d’une sincérité directe. La naïveté, c’est Jean Cocteau dans La Belle et la Bête ou Martin Scorsese dans Hugo Cabret. La niaiserie, c’est Colin Farrell chevauchant, au ralenti, un étalon blanc et ailé, voguant vers les étoiles, sur fond d’une musique outrageusement mielleuse signée par un Hans Zimmer qui, décidément, ne recule devant rien.

On se demande sincèrement comment une telle production peut-être entreprise. Car si, évidemment, l’ambition d’Un amour d’hiver est de surfer sur la Saint-Valentin (sa date de sortie aux Etats-Unis, par ailleurs), cela n’empêche pas forcément les auteurs du film de s’interroger sur la valeur artistique de ce qu’ils portent à l’écran. Et ce, quand bien même le film serait destiné à un public adolescent, c’est dire. Si les rires sont certes nombreux, soyons honnêtes : rien ne va, et l’enthousiasme que l’on peut éventuellement partager avec ses camarades de séance ne suffit pas à meubler un film de deux heures.

D’une laideur formelle rare et porté par un casting qui n’a probablement pas lu le scénario (qu’est-ce que William Hurt vient faire dans cette pagaille ?) tant c’est impossible de s’engager dans un tel film, même pour un gros chèque, Un amour d’hiver remporte haut la main la palme du blockbuster le plus cosmique vu depuis maintes années. N’ayons pas peur des grands mots : nous tenons le Batman & Robin de la romance, au moins. Et pour cause, Akiva Goldsman était déjà scénariste sur le chef-d’œuvre de Joel Schumacher. Tout est connecté.

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le 12 mars 2014

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Lt Schaffer

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