Il est une chose qui a toujours fait le charme du cinéma de Clint Eastwood – la même chose qui, paradoxalement, semble a priori le limiter. C'est cette étonnante simplicité, cette justesse plus ou moins constante (le récent "Hereafter" est plutôt dans le moins, mais passons) dans sa manière d'approcher ses histoires et ses personnages, bien souvent porteurs de réflexions philosophiques et sociales. Le problème (s'il en est vraiment un), c'est que cette approche directe est souvent synonyme de finalité, de clôture du sujet et de la réflexion (on pense à des films comme "Gran Torino" – qui restent ceci dit, pour la plupart, vraiment de qualité) : Eastwood nous a dit ce qu'il avait à nous dire, termine sur une moralité pas forcément inintéressante mais catégorique, et c'est fini. Mais il serait tout de même extrêmement présomptueux d'étendre ce schéma à tous ses films. Car certains d'entre eux prennent exactement le chemin inverse. "A perfect world" en est peut être le plus bel exemple.

Un prisonnier s'échappe et, par la force des choses, se retrouve obligé d'enlever un gamin. Sauf que le gamin en question est membre d'une famille de Témoins de Jéhovah.
Comme toujours chez Eastwood, l'histoire est traitée sans artifices, sans encombrements ; et, comme toujours, il suit ses personnages de très près, avec sa simplicité et sa justesse habituelles. Mais peu à peu, mine de rien, ces derniers se développent, les enjeux dramatiques et philosophiques évoluent et, avec une sensibilité toujours plus extraordinaire, le cinéaste s'engage dans un film de plus en plus profond.
Ce qui sidère tout d'abord, c'est la sincérité et l'intelligence avec laquelle il passe d'un point de vue à l'autre : entre le gangster, le gamin et le flic, c'est toute une correspondance qui s'opère. Le Bien, le Mal, la justice ... le film n'a de cesse de remettre en question toutes les valeurs considérées comme « acquises » par la société et, sans jamais vraiment apporter de réponse, laisse ce qu'il faut pour amener le spectateur à méditer librement.

Mais ce qu'il y a de vraiment plus beau dans "A perfect world", c'est la façon dont il parvient à se placer dans le regard de l'enfant. Filmant aussi bien l'émerveillement d'une liberté nouvelle que la chute des idéaux, Clint Eastwood n'occulte aucune des facettes de l'apprentissage du monde. Le discours n'est jamais simpliste : quitter sa prison (celle des strictes règles de vie imposées au garçonnet par le mouvement auquel sa mère appartient) est possible et permet de jouir d'une liberté nouvelle, mais appelle également à la maturité. Le monde est dangereux, il faut savoir faire de choix, avoir des principes justes (l'enfant se retrouvera plusieurs fois confronté à des principes excessifs, tant avec sa famille qu'avec le personnage de Costner), assumer ses responsabilités éthiques ... bref, avoir une vision juste du monde. C'est peut être bien ça la grande question du film : comment avoir une vision juste d'un monde aussi instable ?

Parsemé de fulgurances poétiques et émotionnelles, "A perfect world" fait office de chef-d'oeuvre dans la filmographie de Clint Eastwood. Plus que jamais, toute l'essence de la réflexion du film ne se ferme pas en même temps que lui : de la même façon que le jeune garçon aura à poursuivre sa quête existentielle et morale, on reste hanté longtemps par ce qu'a su ébranler et éveiller le film en nous.

Créée

le 5 janv. 2012

Critique lue 557 fois

4 j'aime

3 commentaires

Trelkovsky-

Écrit par

Critique lue 557 fois

4
3

D'autres avis sur Un monde parfait

Un monde parfait
Docteur_Jivago
9

Father...

Après des années 1980 plutôt difficile pour Clint Eastwood au box-office, il entame un vrai renouveau dans les années 1990 avec en premier lieu "Impitoyable" qui sera couronné de succès public et...

le 27 déc. 2014

54 j'aime

1

Un monde parfait
Nomenale
8

Critique de Un monde parfait par Nomenale

Une relation improbable entre un évadé - Butch - et son otage, une relation d'amitié, de confiance qui s'établit doucement. C'est à travers les interactions entre ces deux personnages qu'on les...

le 17 mai 2013

35 j'aime

Un monde parfait
Strangelove
9

Deux étoiles au firmament

Que pourrait donner la rencontre de deux géants du cinéma hollywoodien à leur apogée ? Clint Eastwood vient de triompher aux oscars avec son excellent Impitoyable (un retour au western très réussi...

le 5 juin 2013

29 j'aime

1

Du même critique

Pornography
Trelkovsky-
10

Idées noires

Entre 1980 et 1982, le parcours des Cure s'est avéré être d'une cohérence totale : après avoir mis en place une pop introspective extrêmement fine avec Seventeen Seconds, le son curien semble...

le 30 déc. 2013

36 j'aime

4

Django Unchained
Trelkovsky-
5

À tout vouloir justifier ... (spoilers)

Depuis quelques films déjà, Tarantino a comme un besoin de légitimer la violence qu'il filme. Bien sûr, dans les grandiloquents « Kill Bill », l'histoire de vengeance n'était qu'un simple...

le 26 mai 2013

33 j'aime

7

Le Tableau
Trelkovsky-
3

Pour être comme tout le monde ...

Dès le début, le film affiche clairement son postulat : les pauvres gentils et les méchants riches. Dès le début, le réalisateur/moralisateur lance un propos très édifiant à son jeune spectateur :...

le 15 janv. 2012

28 j'aime

4