Le temps. Notion commune à tous, mesurable mais jamais contrôlable, envers et contre toutes les utopies science-fictionnelles. A défaut de ça, le point de vue offert par Under the skin permet d'en observer ses aspects les plus tragiques. Ainsi, la terreur ressentie pendant le douloureux passage à l'acte des proies de notre étrangère ne cesse de bousculer nos acquis. Compatissant envers les victimes, on en vient à être ébloui par l'inventivité plastique dont s'accompagne leur sort atroce. A contrario, l'image d'un enfant oublié de tous compte ici parmi les plus bouleversantes que l'on puisse imaginer, sans plus aucun échappatoire vers l'onirisme, l'imaginaire ou l'inconscient. Un instant d'horreur pure, souvenir d'autant plus terrible que le cinéaste ne s'attarde pas sur son issue. Une ellipse parmi d'autres, "Under the skin" en appelant avant tout à l'intelligence sensitive de son public.


Par conséquent, si l'on rejette le film, il procure certainement un ennui sans bornes. Si l'on y est réceptif, il se vit comme un délicieux empoisonnement dont les effluves semblent envahir la salle, et ce jusqu'à un plan de clôture que l'on jurerait percevoir en 3D. Le dernier coup d'éclat d'un long-métrage où Scarlett Johansson parvient à rendre fascinant un protagoniste improbable, jouant de son statut d'icône glamour sans craindre de le mettre en danger. Créature sexuée, elle inspire aussi les séquences les moins sexy du film. Parmi elles, un dialogue poignant avec un jeune-homme atteint de malformation et dont les traits monstrueux accueillent les avances de la belle avec une méfiance presque candide. Echange qui conduira à un passage d'une grâce miraculeuse, regard perdu vers l'autre côté du miroir pendant que le visage de l'héroïne passe successivement de l'ombre à la lumière.


Travaillé par le thème du double, de l'Autre, Under the skin échappe aux conventions. SF dépouillée en apparence, il débute par un agrégat de formes bichromes débouchant sur un oeil qui envahit soudainement la toile. Avant cela, des dialogues volontairement incompréhensibles auront pavé la voie au renoncement progressif dont fera preuve le personnage principal. Promettant aux hommes de finir la nuit ensemble, elle accumule ainsi les mensonges, le fond de sa pensée étant signifié par des regards et des gestes. Les yeux comme miroir de l'âme en somme, la narration faisant donc mentir cet adage. Atteignant ses limites à mi-métrage, il est logique de voir l'héroïne renoncer ensuite à tout dialogue avec ses supposés semblables. Errance sans destination, Under the skin fait alors partager (endurer ?) cette chose si difficile à tolérer au cinéma : le passage du temps.


Capable de s'attarder sur un monochrome sans fin où évoluent des formes colorées à la symétrie hypnotique, le film est tout aussi enclin à contempler une banale fourchette portée aux lèvres d'une jeune-femme solitaire, et ce avec une insistance contre-nature. Car, justement, la vraie nature de l'héroïne semble appartenir à la pénombre, son anatomie originelle formant un mystère obsédant. De fait, Under the skin tisse un lien discret mais fulgurant entre le public et son personnage principal. Connaissant ses intentions, nous n'en gardons pas moins l'image persistante d'une beauté froide aux courbes affolantes. Un sentiment conforté par des scènes de nu parmi les plus excitantes et perturbantes qui soient, où la plastique impeccable de Scarlett Johansson est comme fissurée par une mélancolie qui fait jeu égal avec sa sensualité.


Il y a du L.A. Zombie dans Under the skin, ce petit film trash et complètement fauché où une créature au corps de statue grecque ressuscitait les cadavres qu'elle croise avec sa verge démesurée. Le film de Jonathan Glazer en est la version féminine et hétérosexuelle en même temps que le négatif, la chair conduisant ici à une mort certaine. Chanson de geste dont Eros et Thanatos restent les invisibles marionnettistes, Under the skin est aussi un OVNI de star qui justifie pleinement la présence de sa tête d'affiche. L'un des nombreux coups de génie de cette balade interminable dont j'aurais aimé, pourtant, qu'elle continue encore des heures...

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le 2 juil. 2014

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Fritz_the_Cat

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