Après la réussite capitaliste dans There Will Be Blood et sa contre-culture contestataire des années 70 dans Inherent Vice, Paul Thomas Anderson s’attelle à démystifier le combat entre organisation révolutionnaire et régime fasciste militarisé.
Que ce soit l’égocentrique Perfidia, dont les actions sont davantage motivées par le plaisir de dominer ses opposants et qui n’hésite pas à balancer son clan pour se sauver les miches ; Bob Ferguson devenu une loque humaine, à l’image de ces anciens hippies dont la prise quotidienne de drogues semble être le dernier vestige de leur glorieux passé, et qui ne cesse de ruminer ses idéaux anti-impérialistes sans jamais les mettre en pratique; ou même Howard Sommerville, qui continue de partager la pensée révolutionnaire depuis le fond de sa cachette, mais finit par livrer Bob et sa fille pour sauver la vie de sa petite sœur. Aucun de ces prétendus héros ne se montrera pas à la hauteur de son statut. Tous apparaissent comme des êtres humains faillibles, dont les intérêts personnels prévalent systématiquement sur ceux de la cause qu’ils étaient censés défendre.
Et il en va de même pour le camp adversaire, avec le personnage de Lockjaw, figure du régime militaire, mais dont les rictus incontrôlables sur son visage impassible, trahissent une sensibilité à fleur de peau. En outre, sa prétendue idéologie fasciste ne l’empêche pas de s’accoupler avec une noiraude et de lui laisser commettre ses attentats en toute impunité. Le colonel semblant surtout motivé par le prestige que lui conférerait une place parmi les plus grands suprématistes de ce pays, la plus haute perspective d’avenir offerte par ce système mais qui, compte tenu de son passif, ne lui sera jamais accordée.
En ce sens, il est amusant de constater à quel point le personnage de Bob, pourtant le plus drôle et le plus attachant du film, ne sert strictement à rien dans cette histoire. Le contraste entre ses gesticulations permanentes et la sérénité de son comparse Sensei, qui arrive à sauver son cul tout en protégeant la dizaine de clandestins à sa charge, constitue l’une ses séquences les plus drôles du long-métrage et prouve que l’on a peut parfois lutter plus efficacement contre les affres du système que ceux qui œuvrent exclusivement à sa destruction.
Un constat amer sur le mythe révolutionnaire qui s’incarne néanmoins dans un formidable film d’action intense et hilarant, nous happant de la première jusqu’à la dernière seconde grâce à une maîtrise absolue de sa narration comme de sa mise en scène. C’est fou de voir à quel point Paul Thomas Anderson met à l’amende n’importe quel actioner de ces 10 dernières années, juste avec un excellent montage, de bons angles de camera, une bande-son dissonante accentuant la paranoïa des personnages, ainsi qu’une excellente réalisation jouant habillement sur la spatialisation de ses environnements. A l’image de cette remarquable course-poursuite finale sur une route gondolée.
PTA livre ainsi un film étonnamment solaire et malgré tout vecteur d’un certain espoir pour l’avenir, symbolisé par la fille de Bob et Perfidia, porteuse d’un héritage contrastée dont elle assumera les conséquences et quelle choisira de perpétrer à son tour, en reprenant le combat de ses parents. Ces derniers n’auront pas échouées sur tous les tableaux, puisqu’ils auront au moins transmis la flamme révolutionnaire à la jeune génération, et c’était peut-être la seule chose à ne pas foirer.
Car, peu importe le nombre de batailles perdues, tant qu’il y aura encore des gens pour maintenir cette flamme, la guerre elle, se poursuivra jusqu’à la victoire.