Ici vous pouvez spoiler !
Paul Thomas Anderson n’a jamais été un cinéaste consensuel. Avec One Battle After Another, il s’aventure sur un terrain où il est certain de déplaire aux deux camps de l’Amérique contemporaine. La sphère MAGA y verra une nouvelle caricature de l’homme blanc, incarnée par Sean Penn en colonel pathétique et violent, mais aussi par Leonardo DiCaprio en excentrique révolutionnaire fumant de la marijuana à longueur de journée, davantage séduit par une femme que par une idéologie. À l’inverse, une partie de la gauche progressiste s’offusquera de voir la figure féminine centrale (incarnée par Teyana Taylor) réduite à une hypersexualisation permanente, et affublée d’un parcours moralement condamnable : elle trahit les siens, abandonne son enfant, et va jusqu’à tuer. Si Anderson façonne des protagonistes à la frontière de la caricature, c’est sans doute pour signifier qu’aucun camp n’est à sanctifier.
L’enjeu du film ne réside de toute façon pas tant dans l’affrontement entre deux camps que dans une fable consacrée à la filiation. Et un père peut en cacher un autre.
DiCaprio, malgré ses addictions et son apparente désinvolture, est d’abord un père attentif, qui prend à cœur son rôle dès la naissance : « Nous sommes une famille », déclare-t-il, et cette devise guide chacun de ses actes. Certes, DiCaprio est accro à la marijuana et semble en décalage par rapport au monde, mais cela ne semble pas avoir entaché son rôle de père, qui se mesure dans le courage et l’intelligence de sa fille face à l’adversité. Surtout, DiCaprio ne cesse de se battre pour la retrouver, quels que soient les obstacles. Être père, semble dire Anderson, ne relève pas de la biologie, mais de l’engagement.
À l’opposé, le personnage de Sean Penn incarne la filiation biologique vide de sens. Révélée tardivement, elle ne repose que sur l’obsession maladive d’un homme qui cherche à s’intégrer à une confrérie grotesque: un “club des aventuriers de Noël” où se rejoue la domination des mâles blancs. Ici, la filiation devient menace : menace pour le père, traqué sans le savoir par les membres du club, et menace pour la fille, que son propre géniteur est prêt à sacrifier. PTA suggère peut-être que la filiation biologique, loin d’être un socle, peut se révéler un piège, voire une malédiction.
Mais le film ne se limite pas à cette fresque intime. Il propose aussi une lecture visionnaire de l’Amérique contemporaine. Le MPU, dans le film, apparaît comme le miroir à peine voilé d’ICE, l’agence fédérale chargée de traquer les migrants. Anderson met en scène une société où les sans-papiers s’organisent pour échapper aux rafles : la séquence orchestrée par Benicio Del Toro, maître d’une mécanique clandestine parfaitement huilée, est un sommet de mise en scène. Dans son calme implacable, Del Toro révèle l’envers d’une Amérique fracturée, où la confrontation semble permanente : agences paramilitaires contre migrants, groupuscules révolutionnaires contre institutions. Ce n’est pas encore la guerre civile, mais c’est une logique de symétrie : chaque camp s’organise avec ses codes, ses procédures, ses plans d’urgence.
La nuance apportée par Anderson, toutefois, est décisive : ces forces démesurées sont ici mobilisées pour servir la folie d’un seul homme. Sean Penn détourne l’appareil militaire et policier pour assouvir sa quête délirante, quitte à plonger une ville entière dans le chaos. Là où la réalité dépasse la fiction, c’est qu’aux États-Unis, ICE déploie effectivement une puissance quasi-militaire pour investir écoles et commerces, mais au nom d’une politique assumée par l’État fédéral (mais peut être avant tout pour le compte d’un seul homme, Trump).
PTA ne cherche pas à réconcilier les camps : il montre une Amérique en apnée, où chacun se bat, chacun s’organise, chacun brandit ses codes comme une arme.
Malgré la gravité de ses enjeux et la tension qui parcourt le film, One Battle After Another n’est jamais plombant. On rit souvent, grâce à un DiCaprio en ébullition, à la fois attachant et hilarant, et à un Benicio Del Toro qui dispose des meilleures punchlines. Et si l’Amérique que PTA décrit paraît sombre et fracturée, le récit se conclut sur une touche d’espoir et de réconciliation. Une réconciliation au niveau de l’intime certes, mais une réconciliation tout de même.
Ici vous pouvez spoiler !