Ça aurait pu se passer dans les années 80. Au moment où ce qui restait de l'activisme des années 60/70 se mangeait l'ère du libéralisme débridé de Ronald Reagan. Mais quand il décide d'adapter (librement) Vineland de Thomas Pynchon, Paul Thomas Anderson choisit cette fois de transposer le récit à notre époque. Pas besoin d'expliquer pourquoi, le film n'a jamais besoin de le faire. Mais il est tout de même question de lutte intergénérationnelle et d'une Amérique dont la boussole morale s'affole dangereusement. Qu'on se rassure : à la différence de ce qui passe dehors, chez Anderson c'est l'éclate. On en compte pas beaucoup, des "super-auteurs" qui se mettent au défi à tous les coups, en passant d'un registre à un autre voire en composant une mélodie à plusieurs voies. C'est d'ailleurs ce qui frappe dans la première partie, délestée de dialogues superflus. L'essentiel est là, dans les attitudes, les mouvements ou les regards de chaque protagoniste. Les caractères, les contradictions, les forces, les faiblesses,... Et la musique supporte le tout (sacrée bande-originale, d'ailleurs). Allez, on pourra tiquer sur le caractère expéditif de certaines choses, le départ de Perfidia par exemple. Mais pour ceux qui appréhendent les 2h40, on se détend tout de suite. Une bataille après l'autre, c'est l'inverse d'une balade lancinante.
Un appel, une urgence, un code qui ne vient pas et c'est parti pour la galère. Et c'est Bob, un ex-activiste parano et ravagé du cervelet par la fumette, qui se la traine en plus. Arraché de son canapé à triple vitesse pour retrouver sa fille Willa, il repart au feu avec son peignoir, les yeux et la mémoire explosés. Il est permis de repenser au Dude de The Big Lebowski, autre zigoto à la cool qui n'a prise sur rien de ce qui lui arrive. Et dans un rôle où l'énergie et l'humour sont requis, Leonardo DiCaprio offre une nouvelle performance totalement géniale. Paul Thomas Anderson place sa caméra au milieu de l'agitation du personnage (intérieure comme extérieure) et à la magnifier. Comme toujours, sa grande force est d'être signifiant sans être ostentatoire. Il sait insister sur un visage pour capturer ses émotions, jouer du cadre pour révéler le ridicule d'une situation, et donner dans le plan-séquence pour donner toujours plus d'envergure au film (notamment lors d'une scène de fuite avec le prof de karaté). On ne perd jamais le fil, alors que la situation vire au chaos urbain et politique. Chose qui n'est pas sans rappeler...Bref, vous voyez. Surtout que l'adversaire de Bob n'est rien d'autre que l'incarnation d'un masculinisme grotesque et guindé. Et si on y ajoute l'ambition suprémaciste qu'il y a derrière, au centre d'une idée inattendue et rigolote (ce comité sous-terrain) du film, on est vraiment tenté de le rapprocher de...bref, vous voyez l'idée. Le plus amusant, c'est de regarder un tel spécimen incarné Sean Penn dont c'est probablement la prestation la plus barrée depuis un sacré bail. Voilà le tableau : un révolutionnaire sur le retour qui enchaine les tuiles et un fasciste illuminé aux aspirations sinistres. Au centre de tout, une adolescente qui doit se construire à vitesse grand V dans un contexte éruptif entre deux figures masculines aux antipodes l'une de l'autre. Anderson a en plus le génie d'amener cette course-poursuite vers un climax remarquable avant de l'achever sur une note d'espoir et de tendresse qui force l'admiration. Un seul visionnage et on a seulement l'impression de gratter la surface. Avec d'autres, Une bataille après l'autre ne fera que grandir.