Au départ, j'avais trouvé ce film très décevant, et puis, à mesure qu'il avançait, l'imprévu qui apparaissait. Toujours là où je ne l'attendais pas, comme une révolution qui surgit et qui ne pouvait se raconter qu'à travers l'inattendu, portée par la gravité d'un récit politique.
Et bien, finalement, c'est peut-être cette manière étrange et comique, plutôt réussie, du réalisateur de transformer la mémoire d'une lutte extrémiste en une fragilité humaine qui m'a le plus intéressé. Cette force d'en rire, par un fameux mélange de nervosité et de burlesque, dans un chaos grotesque et intelligent. Tout cela filmé avec une certaine justesse et le talent de grands acteurs, notamment Leonardo DiCaprio.
Des hommes et des femmes qui furent jadis des insurgés. Jeunes et furieux, persuadés que l'histoire plierait sous le cri de leur révolte.
Inspiré d'une libre adaptation du roman de Thomas Pynchon (Vineland), La French 75, un mouvement qui résonne aujourd'hui comme un écho de notre époque, où l'épuisement succède à l'injustice et à la colère. Où les rêves de changement finissent par se heurter au mur d'un capitalisme prédateur, et pour survivre, choisissent la radicalité et la fuite en avant, d'un côté comme de l'autre.
DiCaprio incarne ce révolutionnaire un peu naïf, mais lumineux, porté par une énergie comique qui dissimule une fragilité profonde. Face à lui, Perfidia (Teyana Taylor), amante et compagne de lutte de Pat (Leonardo DiCaprio), vibre d'une passion ambivalente où l'excitation du sexe se confond avec celle du combat. Leur relation oscille entre désir et domination, alimentée par la fascination qu'elle éprouve pour ses talents d'artificier, mais aussi par son jeu dangereux avec le colonel Lockjaw (Sean Penn). Une interprétation incroyable, qui effraie plus par la raideur de son visage que par sa brutalité. Un homme figé, tordu par le pouvoir et la rancune. T-shirt serré, démarche constipée, suivi d'une folie déjantée, qui espère un jour faire partie du club d'élite de ces hommes blancs, de race supérieure.
Mais à présent, le sang des anciens se répand, de même que la passion entre Perfidia et Pat qui s'enfuit.
Pourtant, un enfant viendra au monde : Willa (Chase Infinitia), promesse fragile d'une nouvelle génération de révolutionnaires en manque de l'image maternelle. Tout s'effondre autour de Pat, qui devient maintenant Bob Ferguson. Un fugitif qui doit protéger son enfant de l'ombre persistante de Lockjaw.
Terré dans sa grotte, complètement parano, Bob ne devient plus que ce pauvre rêveur, fumant au bout d'un bon gros joint. Peignoir et lunettes noires. Toutes ces utopies sont parties bien loin, vers d'autres révolutions oubliées.
Des années de silence et de clandestinité, quand soudain le passé resurgit. La disparition de Willa, un catalyseur qui ravive la flamme que l'on croyait éteinte.
Alors attention, car là, c'est un spectacle comique auquel on assiste. Entre cri révolutionnaire lancé trop tard, mémoire d'un corps qui ne suit plus, mais qui, malgré tout, peut compter sur une équipe hybride mais solide : Sensei Sergio (Benicio Del Toro), un sage professionnel de karaté, légèrement alcoolique, et Deandra (Regina Hall), une force tranquille, capable de diriger le train fou de Bob.
Des courses-poursuites absurdes sur le bitume de cette route, qui nous rappellent un certain Mad Max bizarroïde.
Ainsi, ce récit n'est pas seulement celui d'une traque, mais aussi celui d'une méditation sur ce qui nous échappe : l'innocence, l'avenir, l'élan révolutionnaire, une idée qui se dévore parfois d'elle-même lorsqu'il ne reste plus que l'extrême dans les actes. Puis la fatigue et la solitude, l'abandon des siens. Une flamme qui n'a plus de sens, devient fragile. Willa, la nature d'un monde à venir, que Bob voudrait protéger encore un peu avant qu'elle ne soit engloutie par les cendres de toutes ces batailles.
L'originalité, l'énergie, la qualité des acteurs, et Paul Thomas Anderson qui a su incarner non seulement des personnages mais aussi des archétypes politiques, fond du film un moment à la fois vibrant et singulier.
Au final, on peut dire aussi que c'est un film politiquement bien engagé, qu’on pourrait soupçonner d’être marqué « woke », lorsqu’il parle de ces pauvres victimes issues des minorités, qui agissent, se mobilisent et résistent face à tous ces suprémacistes blancs, de bons gros racistes.
Une violence dite « institutionnelle ». Et pourtant, le film réussit à passer au-delà, je trouve, lorsqu’il explore toutes les fractures sociales et raciales, les tensions internes et ces contradictions, chez les Blancs comme chez les Noirs. Toutes ces trahisons, ces renoncements, rendent le propos moins dogmatique et plus nuancé, avec cette touche d’humour essentielle qui permet de ne pas tomber dans la morale simple.
Cependant, Une bataille après l'autre n'est pas parfait dans sa façon de faire un pied de nez à tous les travers de l'Amérique; il ne trouve pas toujours de véritable direction dans son propos.
Ça reste pourtant un bon film.