Oui Paul Thomas Anderson est un grand cinéaste, inventif, virtuose, amoureux du cinéma et de ses personnages, ça se sent et c’est déjà beaucoup mais « Une bataille Après l’autre » n’en comporte pas moins des défauts qui plombent méchamment !
Dès les premières séquences on sent que Paul Thomas Anderson s’éclate comme un gamin avec ses nouveaux jouets. Il nous embarque avec fougue dans son univers et peu importe le mélange des genres, peu importe les invraisemblances, du moment qu'il se fait plaisir.
Une séquence en particulier donne le ton, celle de la rencontre entre une Perfidia sous amphet (l’excellente Teyana Taylor) et l’affreux colonel Lockjaw (l’excellent Sean Penn). L’une déverse sa logorrhée révolutionnaire et féministe sortie de nulle part, l’autre, sous la menace, exécute ses ordres de la plus improbable des manières (je ne peux en dire plus)… C’est grotesque mais l’énergie est là. Paul Thomas Anderson semble se diriger vers la comedie foutraque sur fond d'Amérique fascisante en pré-guerre civile. A moins de nous proposer un polar d’anticipation ? Ou un brûlot politique ?... En réalité un peu tout à la fois, avant que le gamin hyper doué ne bifurque brusquement vers le film de poursuite pur jus matiné de loufoquerie tarantinesque. Cette incapacité à savoir (vouloir ?) choisir un ton ou un registre finit par révéler tous les artifices d'un film dans lequel le réalisateur cherche plus à nous en mettre plein la vue qu'à maîtriser son récit.
A tous ceux qui glosent sur les capacités de Paul Thomas Anderson à nous dresser le portrait d’une Amérique post trumpienne brillamment enlevée, je n’y vois, pour ma part, qu’un tableau très manichéen dans lequel se glissent ça et là quelques références plus réalistes et bienvenues (les politiques anti migratoires par exemple). En réalité, la toile de fond importe peu et le propos, si propos il y a, ne risque pas de titiller vos méninges.
D’un côté, une secte wasp ridicule qui veut dominer le monde et annihiler tous ceux qui lui résistent, de l’autre, un ancien révolutionnaire (DiCaprio) qui s’est transformé en Lebowski sur le retour mais dont la consommation de joints ne calme ni l’anxiété ni la parano. Les méchants sont vraiment très méchants et les rebelles ne sont pas vraiment ceux qu’on croit. Au milieu de tout ça, une galerie de personnages dont on peine souvent à comprendre les motivations. Et pour cause, le scénario s’ingénie à brouiller les pistes à grands renforts de twists invraisemblables (partez avant le dernier quart d’heure, il se surpasse en retournements sans queue ni tête), d'ellipses étonnantes et de caricatures. Ainsi, l’explosive Teyana Taylor perd rapidement (bien trop rapidement !) de sa superbe sur une decision qui relève plus de l'artifice scénaristique que de la cohérence. De même, Benicio del Toro, le flegmatique "sensei", détonne à vouloir absolument sauver la peau de l'insupportable toxico paranoïaque qui s’est mis dans ses pattes alors qu'il a clairement d'autres chats à fouetter. Chase Infinity déçoit aussi par la platitude confondante de son rôle d'adolescente forcément plus mature que son père. Quant a Sean Penn, il passe de magnifique brute autiste et tordue à caricature de méchant cartoonesque qu'on avait pas vu venir. Même DiCaprio finit par nous taper sur les nerfs à force de répéter les mêmes tocs.
Oui le film est brillant mais il n'en est pas moins lourdingue, redondant et... interminable ! Les séquences s'étirent et s'étirent au point de gâcher le plaisir qu'on avait à les découvrir (un vrai tour de force)... Ha ! Cette déclinaison sans fin du gag sur le mot de passe impossible à retrouver ! Même l'excellente course poursuite automobile en plein désert frôle l'absurde à force de multiplier les plans (très inventifs au demeurant) de routes qui ondulent telles des vagues.
Bref, je suis resté franchement circonspect devant les contradictions d'un film à la réussite formelle indéniable mais terriblement complaisant dans le montage et l’écriture (que vient faire cette séquence finale d’une niaiserie affolante ?) La musique est, à ce titre, parfaitement représentative. Aussi brillante soit-elle (comme souvent chez Paul Thomas Anderson), son omniprésence est totalement contre-productive. En prenant le parti systématique d'en rajouter plutôt que d'en enlever, Paul Thomas Anderson finit par torpiller son film comme un sale gosse qui casse son jouet à force de le tordre dans tous les sens.