Je me jette à l'eau sur Sens Critique, où je me suis souvent heurté à de profonds dilemmes, parfois avant même la fin d'un visionnage : "quelle sera ma note, un 7 validé ou un 8 coup de cœur ?".

Pour ma première critique, j'ai eu envie d'écrire sur le nouveau Paul Thomas Anderson, certainement pour faire le malin, avec la conviction que personne n'avait exprimé ce que moi j'avais ressenti.

L'impression qui se développe est celle de n’avoir jamais vu un film pareil : formellement, c’est impressionnant. À mon avis, c'est une erreur de s'attarder trop longtemps, ou trop près, sur le récit et la psychologie des personnages. Le film fonctionne comme une réalité augmentée : les événements qui s’enchaînent ne sont pas véritablement crédibles si on les observe de face, à hauteur de récit. PTA exagère la réalité, il agence de nombreux symboles avec une grande virtuosité, pour provoquer des réactions chimiques dans l'esprit de son spectateur. Il surfe sur les codes brillants, colorés, ébouriffants du film hollywoodien : musique jazz, grande route, sexe, pistolets, répliques imparables, scènes d'action, acteurs connus. Mais il les pousse à un tel niveau d'augmentation, avec l'humour comme moteur principal, qu'il nous raconte autre chose qu'une histoire de violence entre un révolutionnaire, sa fille et des militaires néo-nazis dans l'Amérique de Trump.

Qui peut croire qu'il n'y a que trois voitures sur cette route des Etats-Unis, que ces bosses en forme de vagues existent vraiment, qu'une chambre à gaz et un four crématoire sont prévus dans cet immeuble d'affaires, qu'une ado pourrait encaisser un tel enchaînement d'événements sordides, de révélations familiales, les gérer avec maestria, accomplir un meurtre, rentrer en paix et retourner à l'école ?

On est plutôt dans le détournement, à l'intersection subtile entre film grand public, bubble gum, et réflexion savante.


Cette approche maximaliste me fait penser à la musique hyperpop qui a pris le dessus depuis le Covid dans le milieu des musiques dites indé. Comme elle, il est maximaliste, auto-référentiel, à la limite du grotesque. Entre la satire et la célébration, il ne choisit pas. Bien sûr, cette approche formelle virtuose, détournée et très "pop" nous rappelle Tarantino, mais j'ai ici eu davantage l'impression de comprendre le propos, ce qui m'a permis d'être davantage touché.

Le spectateur est embarqué dans un pur moment de plaisir coloré pendant près de trois heures : il part en vacances ou en week-end.

Le film regorge de trouvailles narratives jouant sur la surprise et le « jamais vu » :

- Lors d'une course poursuite sur les toits, une nouvelle bande semble se former autour du héros à la recherche de sa famille, l'arc narratif prend forme, l'histoire part quelque part, et là PTA détruit immédiatement ce qu'il avait construit :

Le héros tombe lamentablement lors d'un saut entre deux toits (ce qui n'arrive jamais) et se fait arrêter par la police.

- Des nonnes rebelles sont présentées dans leur couvent secret, ce sont de grandes révolutionnaires qui vont défendre la jeune héroïne, un siège se prépare avec les méchants :

Un voisin indique l'endroit du couvent des nonnes aux militaires, elles n'avaient rien de secrètes. La bataille n'a pas lieu, la tension retombe comme un soufflet, les militaires rentrent très facilement dans le couvent sans qu'elles ne parviennent à se défendre et s'emparent de l'héroïne.

- Un événement antérieur précède le récit principal et le conditionne. Au lieu d'en faire un prologue classique court, ou un flashback, PTA nous propose un prologue dilaté, très long, où tous les événements s'enchainent de manière très chronologique, dans un mouvement successif. Ce long prologue occupe une partie importante du film.

Cette approche formelle, "un événement après l'autre", est au cœur de ce que j'ai perçu comme le propos du film. Je ne reviendrai pas sur la justesse (ou pas) de ce film sur l'Amérique de Trump, sorti seulement 2 semaines après l'assassinat de Charlie Kirk, ou sur l'ambivalence des personnages anti-héros (Di Caprio, Perfidia). D'autres s'y sont frottés. Dans sa parabole, PTA apprend à ses personnages à accepter le mouvement de la vie, répétitif, successif, comme une série de vagues, avec les événements difficiles auxquels ils sont confrontés. C'est dans ce mouvement, one battle after another, qu'ils vont pouvoir se révéler et trouver leur équilibre.

Senseï, professeur d'art martiaux joué par Benicio Del Toro, avait prévenu Di Caprio avec son conseil en ASMR : "pense à des vagues pour te calmer", et puis à nouveau plus tard, "n'oublie pas les vagues".

On retrouve les vagues pendant la course poursuite en voiture : ces bosses qu'affronte le héros en voiture, il monte, il redescend, et il recommence. C'est la vie, les choses se répètent sans arrêt, jamais tout à fait de la même façon, et il faut accepter ce mouvement de va et vient.

La forme est brillante et colore une morale très simple et très juste.


Vient alors la fin du film, que certains ont pu juger ridicule.

Encore une fois, il ne faut pas la considérer comme réaliste : PTA force le trait pour produire son effet.

Lockjaw/Sean Penn arrive dans un bureau médiocre, quasi-vide, de petit employé moyen, mais avec ses œillères à lui de néo-nazi c'est le paradis, la consécration parce qu'il entre dans la grande secte. L'effet produit est extrêmement drôle.

La fin détourne les codes du happy-end, les héros rentrent chez eux après tous ces événements invraisemblables et délirants. La maison n'est pas détruite, chacun retrouve sa place, et la vie recommence. Le père de famille au passé d'activiste, qui ne voulait pas que sa fille ait un téléphone, découvre l'outil du selfie sur un smartphone et y prend goût. Tout s'achève sur une pirouette légère.

PTA nous a fait entrer par le rire, et sortir par le rire — et non par les larmes.

FinziBrulard
9
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le 4 oct. 2025

Critique lue 30 fois

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FinziBrulard

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