Ventura de Pedro Costa suit un vieillard, donnant son nom au titre français du film, dans un hôpital et atteint d’une maladie, qui se remémore ce qu’il a été et ce qu’il a vécu.Le cinéaste portugais aborde, avec ce long-métrage, la condition capverdienne au Portugal. L’œuvre faisant des aller-retours entre passé et présent constamment, ne dévoile au départ rien de ses personnages. C’est au fur et à mesure que le spectateur apprend à les connaitre, tel le fait que Ventura était membre du Mouvement des forces armées, qu’il a été travailleur, presque esclave des portugais. C’est dans ces éclaircissements que les choix formels font sens, beaucoup de plans fixe, ainsi que des êtres filmés la majeur partie du film dans la pénombre. Ventura est en fait enfermé dans la case qui lui a été attribuée, figée dans un environnement obscur puisque non regardée par la société. Son unique résistance, grâce à laquelle il peut affirmer sa présence, est finalement sa maladie de nerfs, le mouvement dans le cadre provient de Ventura et des gestes compulsifs de ses mains. Comme un corps bouillonnant, meurtri par la honte subie, il extériorise le peu qui lui est permis. Ventura confie alors que son occupation pendant ses errances nocturnes, tel un fantôme oublié, s’exprime par ses dialogues avec les murs. Il ne peut parler qu’aux murs, n’étant pas écouté, ses mots n’ont d’impact que dans sa propre introspection. Une idée merveilleusement caractérisée par le plan de Ventura condamné dans l’ombre, au milieu de deux portes où se trouve la lumière.  Par son dispositif esthétique, Costa insiste sur le positionnement social de Ventura, il n’est nulle part et se trouve en décalage des éléments de décors constituant la modernité (peut-être ce qui lui a pris son travail) : les ascenseurs (donnant lieu à une des scènes qui conclue le film, digne des meilleurs moments du cinéma de David Lynch) ou encore la cafétaria qui donne vue sur le monde extérieur.Ensuite, bon nombre de scènes tournées en extérieur ne semblent pas appartenir au réel, il y a comme une transparence de l’image entre l’herbe et la nuit noire. Les capverdiens sont sur le territoire portugais mais il ne leur appartient pas, ils ne sont pas pleinement intégrés. C’est dans cette manière d’inclure les capverdiens sur le sol tout en leur refusant un accès entier au paysage naturel que Pedro Costa décrit, par sa mise en scène, le réel social vécu par le peuple insulaire. Exception faite, par exemple, du passage à l’usine de Ventura, considéré comme dans son élément par ses dirigeants, Costa se permet de montrer davantage dans le cadre, si ce n’est son intégralité. L’individu n’a son plein espace de liberté que là où il a été conditionné.Dans un des seuls moments musicaux du métrage, par une brève chanson, les conditions générales de vie des capverdiens sont mentionnées : exploitation, taudis pour habitat… On constate d’ailleurs que les hommes blancs sont très peu présents à l’écran et filmés de loin dans leurs rare apparitions, signe d’une cohabitation impossible et d’un éternel rejet. Quand enfin Ventura est mis en liberté et sort de l’hôpital à la fin du film, il est lâché dans un monde sans repères et auquel il n’appartient pas, son ultime solution demeure alors dans sa propre mort. En témoigne le dernier plan, les couteaux en surimpression avec ses chaussures, comme un pendu dont on en verrait que les pieds pour interpréter le geste.

Justin-Blablabla
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le 1 août 2025

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