1973. Les problèmes de logement, de santé, de chômage, de maltraitance frappent les Américains les plus pauvres. Dans un bureau d’aide sociale new-yorkais, employés et usagers se retrouvent démunis face à un système qui régit leur travail et leur vie…Frederick Wiseman est un cinéaste qui n’aura de cesse de questionner, pendant plus de 50 ans de carrière, les institutions et les relations qu’elles entretiennent avec l’homme. Dans ce cas-ci, c’est au cœur des rouages infernaux que sont les aides sociales que Wiseman décide de planter sa caméra. Pendant près de 3h, sans utilisation de voix off, le film documentaire nous plonge dans un enfer terrestre de traitement de dossiers, d’administration et de misère sociale, rythmé par les machines qui tapent, les feuilles qui tournent, les sonneries de téléphone et le bruit des enfants qui tentent de tenir dans cette fournaise humaine. Un réel social s’exprime au travers des gens dans une boucle épouvantable, qui tournent en rond, attendent leurs tour, leurs allocations, sont redirigés à l’étage ou dans un autre centre ; d’une mère conseillant à sa fille la pendaison, à une femme recevant une allocation trop basse pour payer son loyer, en passant par un chien mort gisant dans un appartement et pouvant entraîner un risque d’infection pour l’enfant de la famille. La durée est une alliée nécessaire à l’installation et à la perception du climat cauchemardesque et suffocant qui réside en permanence dans les lieux. Comme toujours, une grande place du métrage sera laissée à la parole, des entretiens qui s’étirent jusqu’à l’épuisement entre dialogue de sourds. Par ce choix, le metteur en scène fait en sort qu’on en oublie la caméra et que toute l’attention soit portée sur ces gens. Parmi toutes ces scènes de parole, Wiseman nous laissera souffler, digérer et prendre une pause, pour enregistrer les étouffantes salles d’attente et les longues files avec les gens les uns sur les autres, puis en nous noyant dans le nombre abondant de dossiers. Tout au long du métrage, on recroisera des gens déjà vu, comme pour nous signifier qu’il n’y a aucun échappatoire pour toutes ces personnes, vouées à revenir le lendemain pour attendre un énième appel ou rendez-vous, emprisonnés dans leur condition, dans un système leur empêchant quelconque émancipation. Le film se conclut sur un ancien travailleur donnant son avis sur l’institution et sa condition social en citant En attendant Godot de Beckett, parallèle dramatique de justesse. Un homme se plaint d’ailleurs qu’un employé lui cite le code civil et les lois, comme si celles-ci n’avaient pas la faveur des bénéficiaires du Welfare, Wiseman s’en sert pour remettre en questions ce code juridique qui semble optimal afin de maintenir une société inégalitaire. Par le dispositif de nombreux très gros plan et cette insistance de laisser le temps de voir les gens s’exprimer et revendiquer leur droit, Frederick Wiseman nous montre de manière très frontale cette vérité sociale américaine et ses fractures. Le cinéaste se place comme en témoin des activités du centre et de là, ne tombe pas dans le piège de la victimisation ou du misérabilisme, sans jugement aucun des actions de chacun. Même les employés du bureau pourront être montrés aussi comme attentionnés, certains très à l’écoute en faisant de leur mieux dans le champ des possibles que leur octroie l’agence. Il les montre également parfois à bout de force, en fin de journée, enclenchant des querelles engagées, agacés par leur impuissance.Welfare est un très grand Wiseman, un film utile pour rendre compte d’un réel américain terrifiant et d’une viscérale cruauté. Dans ce système où, comme le souligne la touchante Mme Johnson, ces personnes étant, non pas des êtres humains mais des numéros écrasés par celui-ci, Wiseman les aura fait exister.

Justin-Blablabla
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le 1 août 2025

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