Le film a fait parler de lui pour une raison assez désolante : il est constitué d'un unique vrai plan-séquence de 2h20. Je dis que c'est désolant parce qu'il y a la moitié des gens qui se paluche en disant "Ouah un défi technique, c'est forcément trop cool" et l'autre moitié qui crache "Bouh, encore un prétentieux qui se la pète avec un ressort technique clinquant pour masquer un vide artistique, je rage à l'idée de tous ses journalistes forcément idiots qui vont applaudir par pure branlette". C'était déjà le cas avec Birdman, dès qu'il y a un parti-pris de mise en scène aussi marqué les critiques ne regardent que ça et le cataloguent au même niveau que les autres films qui utilisent la même technique. Que le film soit en plan-séquence, que ce soit compliqué à réaliser, en soit on s'en fiche. Ce qui est intéressant c'est de voir en quoi c'est pertinent et cohérent avec le propos du film. Dans le cas de Victoria, l'usage du plan-séquence a une vraie utilité. Et même si ce n'était pas le cas, en soi ce procédé n'a même pas besoin de se justifier tant que ça ne casse pas le film.
Le film débute à Berlin à 4h du mat' (et non 5h42 comme l'affirme l'affiche française, même si cela ne change pas grand-chose) et consiste en une nuit où Victoria, jeune espagnole paumée communiquant en anglais faute de connaître l'allemand, va quitter sa boîte de nuit et rejoindre un groupe de sympathiques inconnus pour s'enjailler. La virée qu'elle souhaitait raisonnablement écourter ne se terminera qu'au bout de 2h20 et va déraper. On nous plonge au cœur de ce groupe, aux côtés de Victoria qui ne connaît personne mais qui est motivée à croquer la vie à pleines dents.
Ce qui fait la force du film, c'est que tout fait vrai. Loin de moi l'idée de dévaloriser le "faux", quand ce parti pris est assumé il donne naissance à de bons trucs que la réalité ne pourrait jamais retranscrire. Die Hard est archi-faux, The Dark Knight est faux, Snowpiercer s'est fait conspuer par certains parce qu'il n'était pas réaliste alors que ce n'était pas le but. Victoria choisit de faire dans le vrai et il le fait bien : de vrais personnages servis par des acteurs talentueux (qui ont beaucoup improvisé), avec leurs hésitations naturelles et leurs tics qui les rendent palpables. Le plan-séquence fait qu'on est avec eux, au milieu d'eux comme si nous étions vraiment là au lieu d'être des spectateurs de film. Les personnages ne sont jamais présentés par des procédés de mise en scène qui nous rappelleraient que nous sommes au cinéma (champ/contre champ ou autre), on les voit toujours de la façon la plus sobre possible, comme Victoria. Cela rend certaines visions d'autant plus glaçantes qu'on se sent personnellement impliqué, sans nous priver des émotions des personnages qui crèvent l'écran. On ne voit jamais le moindre acteur, seulement des personnes (et parfois même il y avait d'authentiques citadins qui n'étaient pas au courant qu'il y avait un tournage). On ne voit pas de décors, seulement les rues berlinoises. On vit cette nuit, on ne l'observe pas. On est parfaitement intégré à cette bande. Les seuls moments de pure mise en scène concernent l'intégration de l'excellente musique, mais cela sert fort bien le film en plus de constituer quelques moments pour souffler. Si vous êtes capables de passer 2h avec des potes pour une virée nocturne, alors vous pouvez faire pareil avec ce film.
Le rythme est forcément particulier. On nous raconte énormément de ces petits rien qui ne servent aucune intrigue mais qui donnent leur saveur à cette rencontre. Si vous vous focalisez sur l'intrigue et que vous n'attendez que l'évènement perturbateur, vous allez vous faire suer. C'est l'avantage et l'inconvénient du plan-séquence : aucune scène ne peut être supprimée au montage et le film contient son lot de scènes de transitions où l'on passe d'un point A à un point B sans ellipse. Ces transitions ne sont pas plus ennuyeuses que dans la vraie vie, les personnages ayant toujours un truc à dire ou une bêtise à faire pour passer le temps entre eux. Parfois même cela sert le suspense (tardif), retardant certaines échéances. Soit on ne se prend pas au jeu et on trouve ça vain et lourd, soit on se laisse porter et on apprécie cette rencontre fofolle, hallucinée, parfois anxiogène, avec ces personnages insouciants qui veulent juste vivre dans ce grand terrain de jeu qu'est Berlin.
J'ai adoré cette atmosphère. J'ai vécu cette soirée, j'ai assisté à cette fuite en avant, cette fougue et cette déprime des personnages, cette peur du passage à l'âge adulte et de la prise de ses responsabilités. C'était très bien. Un point noir en revanche concernant la fin qui traîne vraiment en longueur. Les 20 dernières minutes arrivent au moment où l'on souhaiterait que le film se termine, je n'étais plus réceptif à ce qu'il se passait car j'estimais que l'histoire devait vraiment s'arrêter, surtout quand on constate qu'il fait déjà bien jour dans l'histoire (en deux heures, le contraste est rude). Cela fait partie du principe du film de prolonger sa soirée au delà du raisonnable, mais là c'était vraiment trop et ça nuisait beaucoup à mon appréciation. Vraiment dommage. Victoria n'en reste pas moins une expérience très cinématographique (si si sur grand écran on y gagne beaucoup) qu'il ne faut pas louper si vous êtes amateurs du genre.
PS : Avis aux épileptiques, les 2 premières minutes risquent d'être douloureuses, boîte de nuit oblige.