Analyse improvisée de l'oeuvre maîtrisée de Sofia Coppola

Cette critique contient pas mal de =>SPOILERS<= sur le film, à donc lire avec un regard conscient de ce fait.

On a une histoire dans la fin est annoncée dès les premières minutes, voire même avant ceci, car implicite dans la lecture du titre. Une histoire tragique, un drame, celui du suicides de plusieurs adolescentes. Une histoire revisitée par le souvenirs des garçons témoins du destin de ses soeurs, témoins de tous les suicides par ailleurs.

Ce qui fait que le film est très différent de ce à quoi je m'attendais, et qui fait que tout d'abord je fus déçu, mais que je ne le suis plus du tout à présent que j'ai posé dessus un regard analytique, c'est son ton souvent très léger.

Ce ton très léger, on le retrouve dans plusieurs passages du film, ou dans certaines scènes tout du moins. Je veux parler de toutes ces scènes au lycée, de ce bal, de toute cette ambiance. Mais cependant, c'est peut-être moi (mais vu que je suis très loin d'être insensible ça me parait étrange), mais ces scènes ne m'ont pas franchement émues. Je veux dire, j'aurais pu, j'aurais même du les trouver triste, j'aurais du souffrir de voir ces scènes légères sachant qu'elles précédaient un drame ô combien horrible. Mais non... Enfin si, mais pas plus que ça, un peu, mais c'est tout. C'est dommage.
En revanche, j'ai trouvé cette légéreté très intéressante. Je m'explique.

Ce film contient un nombre innombrable de clichés, dans les passages "léger" en tout cas. Genre :
" OMG comme il est beaaaaaaaaaaau, il les fait toutes craquer, du coup il lui arrive rien, elles sont toutes à ses pieds, il est jamais puni, elles lui font ses devoirs, et il se les tape touuuuuuuutes... sauf une qui l'ignore, du coup elle le fascine, mais le truc c'est qu'en fait elle l'aime aussiiiii ". Ouais, hum, bon. Je crois que j'ai vu ce genre de truc dans beaucoup de films merdiques pour ados. Y'a franchement pas plus cliché. (Genre ce plan où il marche et qu'elles se retournent toutes, mais absolument toutes. D'ailleurs il est dans un couloir complètement rempli de filles, il n'y a aucun gars ! Non mais j'sais pas, vive la coïncidence improbable digne du miracle, et en plus il a une tête à claque j'aurai bien voulu le baffer - on va encore dire que c'est de la frustration, mais non, mais non, je me porte très bien à ce niveau là... ou pas )

Mais justement, c'est ceci qui est très intéressant. On passe par tous ces clichés pour mieux s'en éloigner, mieux s'en démarquer. A mon sens, et c'est mon interprétation, Sofia a fait exprès de passer par ces clichés, de les accentuer à ce point, pour montrer la vision des adolescent tels que certains peuvent l'avoir, tels que les adultes par exemple, voire les enfants un peu plus jeune. Car on est fracassé par beaucoup de films qui dépeignent l'adolescence sous un jour merveilleux, ils ont tous une vie toute belle, où tout fini bien, en plus ils sont tous beaux, ils ont tous la classe, ils sont tous droles, ils ont tous la vie devant eux, et même les loosers finissent bien, c'est dire. Mon dieu, mais quelle époque parfaite que l'adolescence ! (N'allez pas dire que j'exagère, c'est clairement l'ambiance montrée par beaucoup de films américains). Sofia passe par là, par cette image qu'on peut avoir de l'adolescence A PREMIERE VUE, cette façade, cette apparence, ce monde mielleux n'existant pas (ou alors à de très très rares occasions). Elle passe par cette vision rêvée. Cette vision clichée.

Mais elle y passe pour tout détruire. Pour n'en laisser que des cendres après un incendie gigantesque qu'elle aurait allumé tout en éclatant d'un rire sardonique, en hurlant genre "Votre image de la réalité, voici ce que j'en fais ! ".
Pardon, je m'emporte.

Mais c'est vrai! Ses personnages, ses adolescentes, à la vie toute cliché, elles basculent en plein cauchemar, en plein enfer, au bout duquel ce n'est plus la vie qu'elles ont devant elles, mais la mort. La mort comme seule échappatoire, le suicide comme une délivrance.
Dur. Ah oui, ça fait mal.
Observons que tous les passages qui ne sont pas légers sont graves, filmés sans clichés avec un talent à couper le souffle, une ingéniosité de mise en scène qui ne mérite que des applauses. Une telle différence ne peut pas être due au pur hasard. Sofia Coppola est un génie, c'est tout.

Donc j'excuse à Sofia ces passages légers, car c'est tout bonnement une idée géniale.

Nous avons une lente progression vers le drame, vers l'aboutissement de cette histoire sinistre. Un déroulement très bien mené. Mais mené avec un décalage, celui même de la narration de l'histoire, cette narration qui n'est qu'un témoignage. On n'est pas au centre de l'action, on ne vit pas l'enfer de ces filles avec elle, on le vit avec une distance. Une distance d'une rue, en fait. Mais tout juste assez près pour pouvoir l'observer au télescope. On est mis à l'écart, mais on reste témoins. Cette histoire aurait été d'autant plus immersive, d'autant plus bouleversante si l'on avait été avec elle, chez elle, pour vivre avec elle leur situation, leur enfer, leur enfer qui les a poussées au suicide. Ce qui, quand même, n'est pas rien. Mais ce n'est pas ce que Sofia a voulu. Elle a choisi la distance, le recul.

De toute évidence, elle ne désire pas prendre parti. Elle ne fait que montrer, elle ne porte pas de jugement, elle ne dénonce pas, elle choisit juste de montrer la réalité, de montrer l'adolescence, la banlieu, et c'est tout. Elle montre. Enfin malgré tout, pour la banlieu je ressens quand même une dénonciation voulue.
Pour l'adolescence, pas vraiment... Il est certain qu'elle a voulu montrer la réalité de la condition d'adolescent ("Obviously, doctor, you'd never been a thirteen little girl"), mais à qui revient la faute de leur suicide ? Et même, pourquoi leur suicide ? Cela n'est pas dit. Cela reste un mystère, un mystère qui fait la complexité de l'intrigue, et qui justifie le fait que l'on ne soit pas au coeur de la vie de ces filles pour souffrir avec elles. Il faut ce mystère, cette liberté d'interprétation qui fait le génie de ce scénario.
On peut accuser les parents, c'est une évidence, à cause de leur tyrannie impitoyable, oui mais on peut accuser aussi le lycée, le fait d'être considérées comme des objets à posséder et même simplement des objets sexuels; et non comme des êtres humains, et même que l'adolescence est une période qui peut être difficile, et blablabla... On peut dire ce que l'on veut. Mais ce suicide reste mystèrieux, et c'est brillant.

Et nous voilà en train d'imaginer, en train de saisir ce qui se cache derrière tout ceci... J'ai lu beaucoup d'autre critiques sur d'autres sites avant d'écrire, et j'ai trouvé ça fascinant. Il y a beaucoup d'interprétations sur le fait que peut-être ces suicides sont des meurtres, que ces filles sont tuées par leurs parents. Que peut-être le père a balancé Cécilia par la fenêtre parce qu'elle refusait d'obéir (ce qui expliquerait la scène où il la revoit et qu'elle lui dit " Ne t'en fait pas, ils ont enlevé la barrière" tel un "Tu ne pourras plus recommencer"). Que justement ces parents seraient des gros psychopathes tortionnaires, ce qui expliquerait quand on y réfléchit, pas mal de choses (ce ne sont pas mes théories, mais celles que j'ai lues, faite après analyse et du film, et du livre. Libre à chacun d'y croire ou non). Et le pire, c'est que même si dur à accepter, ça se tient. Ou du moins, il est possible que ça puisse se tenir, et c'est déjà beaucoup.

Les deux parents, un peu extrémistes et psychotique ? Le père fou de la guerre, un peu zarb et cinglé sur les bords... Il se met d'un coup à parler à une plante, il répond à côté de la plaque quand on lui parle, ça se pourrait... La mère, extrêmement sévère, enfermant ses filles chez elle, les privant de tout contact avec l'extérieur... Est-ce une attitude normale ? Non. Après, on peut mettre ça sur le compte du traumatisme suivant la mort de Cécilia, c'est possible... Mais ça n'explique pas tout. Alors quoi? Mais alors bon ? Mais où est la réalité dans tout ceci ? AAAAAAAArgh !
Et si oui, ils les avaient toutes tuées? Après tout, on ne voit pas les suicides, on ne voit que des cadavres, et les parents sont toujours dans les parages... Et il semble que les voisins le soupçonnent aussi, vu qu'ils enlèvent la grille qui a transpercé Cécilia.

Et puis, j'ai vu aussi cette hypothèse du fait que Lux aurait été violée par son père sur le toit, et que ce serait avec lui qu'elle aurait des ébats tous les soirs. C'est terrible, mais qui sait ? Enfin je veux dire, bien sûr on voit que ce sont toujours des hommes différents... Mais rappelons que cette histoire est le témoignage des voisins, des voisins qui les observent avec leur téléscope, et qui se souviennent 25ans plus tard... Sont-ils exempts de toute erreur ? Pas vraiment...
Car rappelons encore une fois ce qu'est ce film, c'est le souvenir de garçons 25ans plus tard, des souvenirs assemblés par un journal intime, des suppositions, des oui-dires, des témoignages (dont un d'un type un l'asile, ce qui met sa crédibilité en doute), des faits vus peut-être trop rapidemment à cause d'une précipitation, ou déformés à cause de l'adrénaline ? (découverte des corps).

De là, nous nous retrouvons comme ce que Sofia dénonce, comme ces membres de la banlieu qui ont observés ces filles et qui ont vécus plus au moins leur mort, à essayer de comprendre, mais en vain, et qui se rappellent, et qui y repensent, et qui essaient d'oublier, mais qui ne le peuvent... Et de ce fait, oui, nous sommes la banlieue, témoins de cette histoires, voyeurs même, et toutes nos suppositions ne sont donc que des... suppositions, elles peuvent toutes êtres vraies, comme toutes être fausse. La réponse est quelque part, nous n'y avons pas accès. Et même après le film, nous nous retrouvons encore comme cette banlieue, on y repense, on essaie d'oublier, mais non, on ne peut oublier les suicides de ces 5 filles, on ne peut oublier ce film. Un chef d'oeuvre.

Je noterai pour finir ce dernier plan, d'une beauté infinie, avec cette BO exceptionnelle, juste parfaite, juste envoutante durant tout le film d'ailleurs. Cette image nostalgique, mélancolique, triste et belle à la fois. Ce plan qui définie tout ce film. Ce plan magique.
Et je me plaindrais sur le fait qu'il y a 5filles mais qu'on n'en retient que 2, et que ça fait des personnages sous-exploités, et que c'est dommage, même si c'est un défaut très peu conséquent.

Je ne lui mets "que" 8, car je l'aurais sans doute préféré autrement. Mais ça ne fait rien.
GagReathle
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le 22 sept. 2010

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