Zorba le Grec, ou la liberté profonde, sans ornements. Ou le rejet complet de toutes conventions. Ou le désir de gravir les montagnes, de toucher les étoiles, en dansant, en riant, en jetant la morne platitude des habitudes au feu. Et c'est beau, cette amitié poignante, fulgurante, entre deux êtres que tout oppose : l'un est un Grec libre comme l'air (Anthony Quinn), mal rasé, qui se fend la poire en permanence, passant son temps à courir les jupons des jolies dames. L'autre un écrivain anglais coincé, propre sur lui, peigné avec la raie sur le côté et tout le bazar. Les deux se rencontrent par un temps où la pluie omniprésente chasse les passants à coups d'énormes gouttes qui ne s'arrêtent pas. L’atmosphère d'un début de film est humide, pluvieuse, entrecoupée d'énormes rafales de vents.
Et alors se fait la rencontre, et l'énorme sourire de Anthony Quinn ne nous quittera plus de tout le film. La première fois que je découvre ce grand acteur.
Mais le film se perd parfois dans une longueur interminable pour son époque (2h22) et l'on assiste machinalement aux retrouvailles, vagabondages de nos deux protagonistes, à l'humour déjanté, anticlérical, qui se moque de tout.
Ainsi, c'est à travers cette liberté totale, ce je-m'en-foutisme, cette analyse aiguë de la condition humaine que le film excelle, magistralement : l'unique pression, pesanteur d'un village où une veuve persécutée par la population finit par trouver la mort jonchée de pierre. Le désintéressement de deux morts d'une population taiseuse, jalouse, morne, remplie d'une indicible rancœur. Ainsi ce sont les deux amis, les deux étrangers qui portent un regard extérieur sur les choses, les évènements d'un village centré sur lui-même.
Et il y a cette unique scène d'une beauté, d'un érotisme, d'une extrême douceur, dans le lit de la veuve habillée de noir. Une somptueuse délicatesse et rien n'est dit entre l'écrivain et la belle veuve. Quelques caresses peaux contre peaux et cet instant possède en lui même tout une beauté érotique, car interdit, car furtif, trop court, suggéré, d'une timide candeur. Alors c'est beau.
La musique tout du long revient comme une envolée très grande, un vent d'une liberté immense qui va avec la danse fulgurante du Grec, ce désir d'un anéantissement de la peur, du bonheur comme chemin de vie, de la folie, de l'immense joie de vivre.
Et la scène de danse finale est celle qui restera longtemps gravée dans les esprits. Au milieu de nul part, parmi les cailloux et le soleil qui tape, très fort, le Grec apprend à danser à son meilleur ami, alors que devant eux, le stratagème qu'ils avaient construit vient d'être détruit, dans une sorte de folie, d'absurdité, qui rappelle le Fitzcarraldo de Werner Herzog. La drôlerie, l'humour sidérant d'un tronc d'arbre qui descend tout en bat de la montagne à l'aide d'une construction inventée avec soin, mais qui chavire, ne fonctionne pas. Alors il y a cet immense tronc d'arbre qui vrille et descend descend en trombe, à toute vitesse. L'effet comique se produit instantanément, et tout comme Klaus Kinski et son bateau qu'il veut hisser à travers la terre, on assiste là à l'immense absurdité d'un fonctionnement qui ne sert là qu'à ramener des troncs d'arbre en bas d'une colline.
Et le tronc d'arbre avance à une vitesse folle, phénoménale, gargantuesque, tel un aéroplane qui cherche à vriller sur tout le monde. Alors tout se fracasse et ensuite il ne reste plus qu'eux-deux, seuls au milieu de nul part.
Alors, ainsi, ils dansent. Ils dansent follement à travers la vie, à travers le monde qui vient de s'écrouler. Et la magie apparaît, grande, immense, avec cette musique qui surpasse tout. C'est ça le cinéma : la liberté sans limites, qui dépasse la vie.
Ce n'est alors pas étonnant que cette scène est maintenant considérée de culte (mais je ne l'ai su qu'après).
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