Démenti de poids apporté à ceux qui pensaient que Starbreeze n'était bon qu'à pondre des superproductions bien sombres et violentes, « Brothers » est une vraie surprise. Une baffe assénée avec tact et douceur, douloureuse mais subtile, partant d'une intention peut-être un chouïa mercantile (petit budget, contemplation, poésie, youpi youplà c'est la mode) pour aboutir à un choc pourtant intense. À la base, le jeu s'inspire de certains grands noms de la scène indé « grand public » de ces dernières années. Comme dans un « Limbo », la narration est muette, laissée à l'entière discrétion d'un gameplay minimaliste. Comme dans un « Journey », les décors, vastes paysages naturels, signifient en toute simplicité la progression du joueur vers son objectif, délaissant peu à peu les espaces familiers pour un inconnu hostile ; on y progresse en découvrant les vestiges d'une civilisation (tré)passée avant nous, qui s'est battue pour de noires raisons et dont on a la sensation de fouler du pied les restes encore fumants. Dans « Brothers », bien vite la vie déserte le périple des deux frères, qui d'un village turbulent passent à des montagnes sauvages, des hameaux dévastés par la guerre, des champs de bataille jonchés de cadavres. Ah, et comme c'est poétique, il y aura aussi un peu de « Ico », un zest de « Shadow of the Colossus » : toutes ces étendues sans vie, c'est bien joli, mais ne serait-ce pas mieux avec une présence amicale à protéger ? Prenez le tout, secouez, assaisonnez d'un univers tiré de contes pour enfants avec gentils trolls, petits ruisseaux, créatures fantastiques et paysages de fantasy sucrés comme il faut. Ça fait beaucoup d'inspirations, c'est certain, mais pourtant ça fonctionne étonnamment bien.

D'abord grâce à une direction artistique absolument impeccable, sorte de compromis tout doux entre Team Fortress 2 et Fable. « Brothers » est un plaisir pour les yeux qu'amplifie l'usage parfaitement maîtrisé de l'Unreal Engine : tout est impeccablement fluide, détaillé, les décors sont vastes et la caméra aérienne souple et mobile, à grande focale, permet de s'immerger à loisir dans les univers du jeu, pour la plupart naturels, solitaires, propices à une certaine évasion. Au niveau du son, ensuite : bardé de musiques épiques tout à fait dans le ton, privé de dialogues réellement parlés (les personnages s'expriment rarement, et quand c'est le cas, dans une langue fictive non sous-titrée) et privilégiant les sons d'ambiance (gazouillis, vent...) le jeu met les oreilles au repos. Tout est fait pour que le joueur se concentre sur la prise en main, qui, bien que simple sur le papier, requiert pas mal de concentration. En effet, « Brothers » part de l'idée un peu suicidaire d'assigner un stick à chaque personnage (pad obligatoire, il va sans dire). Ce mode de contrôle bouscule les habitudes et sera l'occasion de nombreuses errances : tout se passe à peu près bien quand le personnage lié au stick gauche se trouve sur la gauche de l'écran, et celui lié au stick droit, sur la droite, mais quand il faut diriger nos deux zigues de manière coordonnée alors que leurs positions ne sont pas relatives, bonjour les ébats aux quatre coins de l'écran. « Brothers » peut être involontairement très rigolo à regarder, quand on observe l'un des personnages attendre patiemment son frère qui s'est mis en tête de partir dans le décor à grandes enjambées.

Une fois maîtrisé ce système de déplacement un peu bizarre, on constatera toutefois avec soulagement que les développeurs de chez Starbreeze ont fait en sorte de minimiser les désagréments. Le jeu est plutôt sur rails, et surtout chacun des deux frères ne dispose que d'une seule et unique touche d'action, contextuelle. Le décor regorge d'éléments interactifs, utiles ou non, qui pourront provoquer une réaction du personnage que l'on approche. Les pitons rocheux offrent des prises d'escalade, les animaux peuvent être montés ou chatouillés, les villageois peuvent être interrogés ou taquinés. En expérimentant l'effet des actions contextuelles avec les deux frères, on pourra découvrir une poignée de mini-quêtes secondaires : empêcher la pendaison d'un homme, rapporter des bébés tortues à leur maman... les objectifs ne sont jamais donnés textuellement, mais le joueur les déduit naturellement du level design, conçu pour que les points d'intérêt soient évidents et que l'on détermine seul, sans aide, quelle utilité donner aux deux frères dans une situation donnée. Enfin, certaines actions « utiles » seront réservées à l'un des frères : des séquences de gameplay tireront ainsi parti de la petite taille du plus jeune, d'autres de la force de l'aîné. Au final, et malgré un parti-pris critiquable dans la gestion des déplacements, le jeu fera tout son possible pour rendre l'action la plus lisible, la plus simple possible. Cette clarté, relative mais réelle, amplifiera, au fil du jeu, le lien du joueur avec les deux frères, qu'il contrôlera avec de plus en plus de naturel.

Tout cela serait donc déjà bien mignon en soi, mais la grande idée de Starbreeze (qui n'est pas vraiment la sienne, mais passons : on ne critique pas un « Killzone » pour ressembler à un « Call of Duty ») c'est encore d'avoir poussé à bout ce concept de narration muette. Tout passe par le gameplay, ce qui donnera lieu à de véritables moments de bravoure, en particulier à la fin du jeu où les développeurs pousseront dans ses derniers retranchements la logique de coopération entre les deux frères. Pour le reste, le level design fait son travail, faisant se succéder les zones, les atmosphères, avec un à-propos incontestable. Certaines séquences sont vraiment impressionnantes du point de vue de l'ambiance, des décors, qui réussissent à transmettre un sentiment réel de désolation ou, à l'inverse, de pur émerveillement. On ressent très bien la progression des deux frères dans leur périple alors même que leur objectif semble le plus souvent inaccessible. On voyage avec eux, dans une communion silencieuse qu'interrompent des rencontres à la charge symbolique puissante. Le rythme même du jeu est discrètement effréné, alignant les mini-trouvailles de gameplay, modifiant à de multiples instants les enjeux du récit pour faire bifurquer la quête des frères dans des directions imprévues (aider un couple de trolls débonnaire, fuir un yéti, délivrer une jeune fille prisonnière d'une tribu indigène...) qui contribuent toujours à relancer l'intérêt. Sans mots ni textes, « Brothers » réussit à raconter une histoire sacrément dense, parfois très émouvante. Ce sera dans ses derniers instants qu'il concernera le plus, dans une pirouette scénaristique un peu goguenarde, mais qui touche au cœur. Un réel manque ? La voix caverneuse de Vin Diesel, peut-être.
boulingrin87
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le 6 oct. 2013

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Seb C.

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