Hidetaka Miyazaki, un game designer sans histoires, travaille tranquillement au sein de From Software, jusqu'au jour où il entend parler de Demon's Souls, un jeu en cours de développement auquel la compagnie ne croit pas trop, et dont pas grand-monde ne veut s'en occuper.
Miyazaki, nourri par les lectures fantasiesques et les livres dont vous êtes le héros de son enfance, ainsi que par certains jeux auxquels il jouait à l'université, comme Ico, ambitionne de créer un jeu mémorable, et prend les commandes de la création du jeu.
Pensé au départ comme une suite spirituelle de King's Field, une saga vidéoludique précédent ede la compagnie, Hidetaka donne un nouveau cap à la conception du jeu.
Il en résulte cet Action RPG/Hack n' Slash en 2009, sorti uniquement sur PS3, qui remporte un succès commercial modeste mais un certain succès critique.
Unes suite spirituelle est immédiatement mise en chantier, et sort en 2011 : Le vacarme de la sortie de Dark Souls premier du nom résonne partout et explose les tympans de beaucoup.


L'univers et la cosmologie des Âmes Sombres se démarque du tout-venant, et surtout des univers d'Isekaï disneylandesques à base de monstres kawaïs, d'elfes-waifus et de démons très très très très méchants qu'il vous faudra buter dans votre quête chevaleresque pour plus d'XP : la Première Flamme, qui amena avec elle le temps, la chaleur, les dieux et les humains, se meurt, apportant avec elle la malédiction des morts-vivants, rendant les humains immortels, mais leur faisant perdre peu à peu leur humanité, pour finir par les réduire à l'état de carcasses : pantins desséchés dénués de raison attaquant tout ce qui bouge.
Vous êtes l'une de ces âmes en peine, condamnée à l'extinction totale et progressive de sa personnalité, et il vous incombe de faire l'effort de vous frayer un chemin à travers le royaume crépusculaire de Lordran, déchiré entre la Lumière et les Ténèbres gisant comme une charogne desséchée sous un soleil à la lumière factice, afin de devenir suffisamment puissant pour rallumer la Flamme, ou la laisser s'éteindre, c'est selon, mais n'oubliez pas que le bien et le mal ne se situent pas là où l'on s'attend, comme les récits de Fantasy classique nous y ont trop bien habitués.


Ce qui frappe de prime abord dans Dark Souls, c'est la solitude dans laquelle est plongée votre personnage dans un monde mystérieux et dévasté, à la manière de Stalker, de Tarkovski, ou du manga cyberpunk Blame!, de Tsutomu Nihei, dont vous devrez rassembler à la manière de pièces de puzzle les éléments qui vous permettront de comprendre son histoire obscure, en comblant les vides avec votre imagination, à l'aide des descriptions d'objets et des dialogues avec la petite quinzaine de PNJ amicaux du jeu. Cette narration très particulière vient des lectures de Miyazaki, dans son enfance, où il ne parvenait pas à comprendre certains mots, et remplaçait les éléments qu'il ne comprenait pas avec sa force imaginative, elle nous force à nous investir dans l'univers sombre et torturé du jeu et à partager nos théories avec les autres joueurs, rendant ainsi ses histoires bien plus marquantes. Il y a même des gars sur Youtube, comme VaatiVidya, qui se sont spécialisé dans l'art de ne faire des vidéos que sur le lore du jeu.
Mais vous pourrez aussi n'en avoir rien à carrer et foncer défoncer les boss, c'est selon.


L'ambiance pesante qui règne dans ces donjons putrides et ces ruines de mort est nourrie par l'absence quasi-totale de musique en dehors des combats de boss, et par le stress dû aux combats ardus (vous inquiétez pas, la difficulté, on en parle plus tard) que vous devrez livrer face aux ennemis issus d'un bestiaire extrêmement vaste et issu en majeur partie du folklore européen, allant du chevalier zombie au sanglier de fer, en passant par le démon difforme ou la gargouille géante, qui vous attendront au détour du moindre couloir, dans des zones partagées entre une horreur de fin du monde et une poésie triste, qui présentent une sacrée diversité : entre la forêt nocturne, le château défiant les cieux, la grotte de cristal et bien d'autres, on n'a que l'embarras du choix. Il faut aussi noter la beauté des architectures, inspirées par l'art européen, comme celle d'Anor Londo, qui évoque la cathédrale de Milan et le château de Chambord.
Non pas que ce soient les seules qualités des zones, hein, il y a aussi le level design savamment étudié, avec tout plein de passages secrets, de raccourcis et d'interconnections entre zones que vous débloquerez au fil de votre périple, vous permettant de revenir rapidement à tel ou tel endroit d'un monde qu'il ne faut pas appréhender juste horizontalement, mais aussi verticalement, la map étant plus un cube qu'un grand tapis. Ces qualités culminent dans le Monde peint d'Ariamis, une zone bonus qui avait été la première à être conçue par les développeurs, histoire de bien se rôder.
Vous pouvez d'ailleurs combattre la plupart des boss dans l'ordre que vous voulez, Sif le grand loup gris peut par exemple être le second boss que vous vaincrez (en vous y prenant cependant très très bien, hein, vu qu'il est balèze) ou bien être l'avant-avant-dernier.
Malheureusement, la seconde moitié du jeu, qui commence à partir de votre victoire sur O & S, n'est pas au niveau de la première en termes de level design et d'interconnections entre les autres zones.


Et chaque exploration de zone culmine dans un combat de boss, porté par la sublime bande-son symphonique composée par Motoi Sakuraba (écoutez-moi ça, par exemple) et performée par l'orchestre philharmonique de Tokyo, qui fait très bien ressortir le côté épique mais surtout tragique des combats, qui se résument pour la plupart à une idée simple, avec la gargouille, par exemple, il y a un second adversaire, avec Seath l'écorché, il faut casser un objet dans la salle du boss pour pouvoir lui faire des dégâts, la liste est longue...
Et puis, les boss nous ont quand même donné des memes absolument légendaires.


On en vient donc à la fameuse, légendaire, insensée, abominable difficulté de Dark Souls, élaborée par des développeurs sadiques pour des joueurs dont le masochisme n'a d'égal que l'élitisme snobinard, verdict ?
C'est complètement exagéré, la difficulté de DS est juste exigeante et n'existe que pour donner au vaillant petit guerrier de la manette un véritable sentiment d'accomplissement quand il vient à bout d'un obstacle pas si insurmontable, émotions qui culminent à trois moments clés du jeu : votre arrivée à Anor Londo, transporté par des démons sans yeux (référence évidente aux contrées du rêve de Lovecraft, comme quoi Miyazaki s'intéressait à son oeuvre bien avant Bloodborne), votre victoire (après tant de bolossages !) contre Ornstein & Smough, et enfin celle sur le boss final. Dark Souls n'est pas un jeu dirigiste qui s'obstine à vous prendre par la main, à vous moucher, à faire vos lacets, à vous torcher le fion, il attend de vous que vous fassiez le premier pas, et vous offre même un tutoriel que vous pouvez (ô joie !) zapper pour rentrer dans le lard du jeu, vous évitant ainsi de gaspiller 10 minutes de votre existence passées à se coltiner des instructions gonflantes que votre sémillant esprit connait déjà à la lettre.
De plus, quand vous vous faites poutrer, vous ne mourrez pas réellement, vous revenez au précédent feu de camp (le checkpoint, quoi), et vous avez la possibilité de récupérer votre oseille, qui vous sert à acheter des items super chouettes ou monter de niveau, vous accordant la bénédiction du soulagement quand vous recouvrez votre gain.


Le jeu croit en son joueur et lui fait admettre qu'il puisse ne pas réussir au premier coup et échouer, pour ensuite apprendre de ses erreurs et revenir fringuant comme un poulain, pour enfin triompher.
Cette mécanique de gameplay est d'ailleurs parfaitement intégrée à l'univers du jeu, puisque les carcasses évoquées plus haut sont des humains qui ont échoué et perdu espoir, se résignant à la défaite, quand vous faites un ragequit définitif, c'est comme si votre personnage devenait une carcasse, en somme.


Et puis, c'est quand même facile de trouver des jeux beaucoup plus durs que Hard Souls, genre Touhou, Comix Zone ou Altered Beast, et ça devient soûlant à en rouler sous la table d'entendre un jeu un tant soit peu difficile être comparé à DS, comme s'il devait être le maître-étalon à l'aune duquel tous les jeux pimentés devraient être jugés (voir cette vidéo de PsEuDoLeSs1 pour plus de précision), preuve que certains ne comprennent pas la complexité de la question de la difficulté dans l'art vidéoludique.
Même si faut bien reconnaître que parfois elle est pas super bien dosée, rendant certaines morts assez injustes, je pense par exemple à ces moments où la caméra fait un peu n'importe quoi dans les passages étroits (cf. le boss démon capra, grand fan de Franck Capra, ok cette blague est toute naze), ou à ce passage à Anor Londo où vous devez marcher au bord d'un précipice, et vous faites projeter illico presto dans le vide par deux archers, à tout le chemin que vous devez parfois vous retaper pour défier à nouveau un boss, et aussi à ces 4-5 premières heures de jeu de la première partie, où vous rampez à travers les premières zones tandis que les ennemis se donnent le mot pour vous rouler dessus, et au début, c'est dur d'aimer DS, et le jeune clampin que j'étais il y a trois piges de cela en sait quelque chose, le vendeur m'avait même dit : "T'es sûr, hein ? Parce que DS1 il est beaucoup plus dur que le 2 (c'est faux) et le 3 (c'est faux aussi)".


La progression du jeu est très inspirée par les Livres dont vous êtes le héros: vous devez fouiner partout dans le jeu pour débloquer des items vous donnant accès à des zones optionnelles ou non, influencer les actions des rares PNJ qui vous octroieront des bonus (je rappelle quand même que ce jeu sauvegarde automatiquement, chaque action est donc irréversible).
Le jeu ne vous dit absolument pas où aller, et plusieurs chemins sont possibles, mais la progression est parfois trop obscure, et certaines actions à effectuer (surtout celles pour accéder aux zones bonus du DLC) sont contre-intuitives au possible. Du coup il faudra pas hésiter à aller lorgner du côté des vidéos d'Ex Serv pour s'aider, elles sont très exhaustives et c'est très le bien.


Il faut pas non plus oublier les nombreuses armes, armures (au design d'ailleurs sobre mais très classe) et sortilèges, qui offrent de nombreuses approches possibles d'un même challenge : vous pouvez vous la jouer full tank avec une armure lourde et une bonne grosse épée de bourrin, ou alors esquiver les attaques et utiliser une lance et de la pyromancie, ou nuancer et mélanger différentes approches. Ces éléments qui s'imbriquent et se complémentent donnent ainsi un gameplay profond et donc une très grande rejouabilité.
Pour plus de précisions, voir la très bonne vidéo d'Olbius sur le sujet.


DS est un vrai jeu d'auteur, qui tout comme un paquet d'autres oeuvres japonaises, digère la culture occidentale pour régurgiter un super machin, et comme beaucoup, il a une très grande valeur sentimentale à mes yeux, j'ai des fragments épars de souvenirs du jeu qui remontent à la surface chaque fois que j'entends ça.

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le 11 déc. 2019

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