Darkest Dungeon
7.6
Darkest Dungeon

Jeu de Red Hook Studios (2016PC)

Dans l’histoire de la filiation des patrimoines, il y a toujours eu deux catégories de personnes: les floueurs et les floués. Darkest Dungeon, non content d’afficher une patte artistique cauchemardesque, est une piqûre de rappel de l’âpreté de monde.
Car l'héritage est à l’image de quotidien, injuste et parfois cruel. Tandis qu’une poignée de nantis s’arroge par le simple fait de leur naissance une entreprise familiale valorisée à plusieurs millions de poképièces, certains dont je fais partie ont un petit peu moins de pot. Mon héritage à moi, ce fut ce petit hameau délabré bercé de démences et de monstruosités. Tout ça, c’est de la faute de tonton ! À jouer les apprentis démonistes, il a invoqué l'abime du temps qui depuis déverse ses légions d’abominations sur la bourgade paisible de mon enfance. Et désormais, héritier de tout ce bordel, c’est moi qui suis en charge d’aller botter des culs. Bon rassurez-vous, je ne vais pas le faire moi-même, il y a une tripotée de gugusses dans cette caravane visiblement tout à fait prompt à servir de chair à Cthulu.
J’ai toutefois la redoutable impression qu’ils risquent de décarocher sévère si je les envoie au casse-pipe coup sur coup sans une once de répit entre mes expéditions. Va falloir investir dans des camisoles. Problème : on est à court de pièces d’or. Résumé de la situation : c’est pas franchement l’ambiance dans mon bled. Et moi qui était tout content d’hériter d’un truc. Monde de merde.


(Cette critique est le script d'une émission vidéo sur le jeu publiée à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=bw0rBcDKXMw)


Darkest Dungeon est un RPG mâtiné de rogue-like avec tout ce que ça implique de donjons générés aléatoirement et de chronophagie. Le premier titre du studio canadien Red Hook s’inscrit dans la longue liste des jeux indés financés via Kickstarter ; et si vous vous intéressez à la genèse du projet, je vous invite à jeter un oeil à cette vidéo de Game Next Door.
Parce que dans cet épisode de Polygone Right, on ne va pas répéter ce qui a déjà été brillamment dit sur Darkest Dungeon; comme d’habitude on va s’intéresser au système de jeu et plus particulièrement à un aspect qui instille de la cohérence dans l’ensemble : la mécanique d’affliction.


Au cours de vos expéditions hors du village, les membres de votre escouade peuvent prendre deux types de dégâts : corporels et psychologiques. extrait kaamelott
En toute logique, il y a deux barres de santé : la barre de santé physique; et la barre de santé mentale. Si la première fonctionne de manière assez classique en diminuant lorsqu’un péon prend un mauvais coup, la seconde se déploie avec beaucoup d’originalité et de profondeur. Il faut veiller à ce que cette jauge de stress n’augmente pas trop, car passé un premier palier le personnage risque l’affliction : désespoir, paranoia, masochisme, irationnalité ; j’en passe et des meilleures.


Le truc c’est que la moindre action est une prise de risque pour le mental du groupe, ouvrir un trésor pour y dénicher moult crâne et organes putréfiés : la barre de stress augmente, pénétrer dans une salle et tomber dans une embuscade de streumon : la barre de stress augmente, même marcher peut augmenter votre barre de stress si vous boulez court en torches ou que vous ne prêtez pas attention aux pièges disséminés un peu partout. Une fois atteint d’une affliction, c’est la foire d’empoigne dans le cortex de votre personnage : insurbordination, mutinerie et couardise marqueront son comportement, et la situation peut très vite devenir ingérable. Passé un second palier de stress, il y a carrément un danger de mort puisqu’il y a une probabilité que le protagoniste vous claque dans les doigt à cause d’une saloperie d’infarctus des familles. on dit infarctus ou infractus.


Bref le système d’affliction fait partie du coeur de jeu dans Darkest Dungeon, il est donc impératif de le considérer avec attention. Et là où ça devient intéressant c’est que contrairement à la santé physique, la santé mentale ne se guérit pas automatiquement une fois votre expédition terminée. Il faut envoyer vos dégénérés soigner leur folie dans des bâtiments prévus à cet effet : taverne et abbaye deviennent des lieux de passage nécessaires pour les débarrasser de leurs afflictions. Le problème c’est que ça coûte cher, et que même dans ces supposés havres de paix, un gugusse peut choper des malus : par exemple au bordel on peut attraper une bonne vieille MST, ce qui empêchera de remettre les pieds dans une maison de joie. Cette gestion du risque qui est au centre de l’expérience ajoute de la profondeur au gameplay et a le mérite de diversifier les situations de jeu.


En clair, le système de santé mentale dans Darkest Dungeon crée de la cohérence entre les deux phases fondamentales de titre : la gestion du hameau et l’exploration des donjons. Ces deux aspects ne sont pas déconnectés l’un de l’autre, au contraire ils sont intrinsèquement liés.
Comme le soulignait Tyler Sigman, le game designer, dans un article que vous retrouverez en description :
“Le système d’affliction est un pilier du jeu, et toutes les mécaniques ont été pensées pour le renforcer. On joue avec le sentiment de contrôle du joueur en lui rappelant sans cesse que ses petits héros virtuels ont leur propres volontés et parfois leur volonté de survie viendra mettre à mal vos plans.”


Et ce qui est génial, c’est que du coup la gestion du stress est à la fois une mécanique de jeu et une nécessité pour le joueur lui-même qui doit faire face à des imprévus.
Je pense que la particularité de Darkest Dungeon en comparaison avec d’autres dungeon crawler vient très justement de ce système d’affliction qui incarne à mon sens la meilleure idée du titre.


D’ailleurs de cette idée originelle et originale découlent deux façons de jouer : humaniste et utilitariste.
Qu’on soit clairs, le jeu encourage très largement la méthode utilitariste, appelé également la méthode gros connard cynique froid et calculateur, puisque le recrutement de bleusaille ne coûte absolument rien et qu’il permet d’enchaîner les expéditions pour remplir aisément sa bourse. En bref Darkest Dungeon incite très clairement par ses mécaniques à déshumaniser les membres de son escouade comme le démontrait avec pertinence la chronique de Game Next Door, encore eux ils sont partout sur les choix ludiques. Mais si le système de jeu nous pousse à adopter ce comportement, il n’en devient pas pour autant obligatoire.


Car le titre permet également une approche humaniste, même si on d’accord qu’on a affaire à des bonhommes fait de pixels et de lignes de codes. Cette manière de jouer n’est pas la solution de facilité, au contraire elle rend le jeu beaucoup plus difficile et douloureux. Mais j’ai pris énormément de plaisir à m’amuser avec cette dimension roleplay de l’expérience, en renommant les personnages, en imaginant leurs relations, leur personnalité, leur histoire. Tout cela crée de la narration émergente et vous savez à quel point j’apprécie cette forme de narration propre à notre médium de prédilection.


Darkest Dungeon n’est pas pour autant dénué de défauts, les longues sessions de jeu lassent quelque peu ; la faute à une certaine répétitivité et/ou à des mécaniques légèrement frustrantes. Mais à travers une idée simple au départ, le système d’affliction, les développeurs et développeuses de Red Hook ont édifié un titre profond, atypique et inventif.
À bon entendeur, salut !

Olbius
7
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le 7 août 2016

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Olbius

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